Interview Christian Léourier : “Je préfère être balloté sur l’océan du doute que me fracasser sur l’écueil du dogme.”

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Christian Léourier - Les Oiseaux d'Argyl
Christian Léourier – Les Oiseaux d’Argyl

Christian, ton recueil Les Oiseaux d’Argyl sort en librairie. Il contient des textes de tes débuts… jusqu’à aujourd’hui. Quel est ton rapport à la nouvelle et aux formats courts en général ?

La nouvelle, comme la novella ou souvent la littérature pour la jeunesse, ont pour caractéristique d’exiger la brièveté. Ainsi exprimé, cela a l’air d’une belle tautologie. Aussi je m’empresse d’ajouter : sans pour autant sacrifier à la compréhension et à la profondeur du récit. Il faut tracer le décor, situer l’action, caractériser les personnages, esquisser l’ambiance, suggérer le sous-texte en un minimum de phrases, voire de mots. Une excellente discipline, que je m’efforce de suivre aussi quand j’écris un roman. Même si celui-ci autorise des digressions et des développements plus amples, j’applique à la relecture la règle des 2/3 : le manuscrit qui partira chez l’éditeur doit être dégraissé d’au moins 30% par rapport au premier jet. La plupart du temps, il suffit de bien choisir son verbe, quitte à en tordre un peu le sens courant pour le rendre suggestif, pour économiser une phrase sans perte d’information. Ce qui m’intéresse, c’est me colleter avec la langue. Trouver le ton juste, la construction adéquate. La nouvelle est une bonne école. Elle permet de s’essayer à différents registres, d’explorer des formes d’expression qui ne tiendraient pas la longueur d’un roman sans tourner au procédé, mais peuvent sur une courte distance, servir cet accord de la forme et du fond que l’on recherche tous.

Quels sont les principaux thèmes qui traversent ces oeuvres ? As-tu trouvé, au fil du temps, des connexions qui t’ont surpris ?

Revenir sur cinquante ans de production est un voyage étrange. Certains de ces textes, pas forcément les plus récents, me restaient plus ou moins en mémoire, tandis que j’en avais oublié d’autres. Cependant, à leur lecture, je retrouvais le contexte de leur écriture, où se mêlaient mon parcours personnel et les courants qui ont traversé la SF francophone, de l’impératif politique des années 70 à une époque plus sereine, où mon goût pour une approche plus ethnographique, voire anthropologique était mieux accepté. Et la cohérence, dans tout cela ? À mesure de ma relecture se dégageait une homogénéité que je ne pensais pas rencontrer. Ce qui signifie probablement que je n’ai pas trouvé de réponses assez convaincantes à mes interrogations pour passer à autre chose ­— et je m’en réjouis : je préfère être balloté sur l’océan du doute que me fracasser sur l’écueil du dogme, quand bien même il serait peuplé de sirènes. Il y a quelques années, quand on me posait la question de ma thématique, je répondais : la rencontre de l’Autre. L’Autre en tant que questionnement, mais aussi en tant que révélateur. De la rencontre amoureuse à la confrontation avec la monstruosité, toutes les nuances du frottement avec l’altérité non seulement renvoient à la conscience de soi, mais déterminent nos comportements, volontairement ou non. Cette préoccupation demeure, mais il me semble à présent que, telle une onde qui de proche en proche soulève la surface du plan d’eau, ce thème en a suscité d’autres. Comme le déterminisme. Qu’est-ce qui, dans nos existences, relève du libre-arbitre ? Dès la naissance, ne serait-ce qu’en raison du lieu et de l’époque où elle intervient, une voie s’ouvre à nous. Est-ce une arborescence qui multiplie les carrefours ou un chemin creux bordé de haies impénétrables, une aventure ou un destin ? Je n’accorde de crédit qu’à ce qui est démontrable. Or le destin ne l’est pas. Mais si, comme certains physiciens l’avancent, le temps, tel que nous le concevons d’après notre expérience quotidienne, n’existe pas, cela relance la question, non ? Quoi qu’il en soit, les protagonistes de mes histoires dansent sur la corde qui sépare le hasard de la nécessité, sans savoir de quel côté il serait préférable de tomber. 

Tu passes allègrement de l’anticipation au space-opera. Les genres, en fait, semblent peu t’importer. Finalement, chez toi, c’est toujours le propos qui détermine le genre de récit, non ?

Quand je commence une histoire, je m’interroge sur la tonalité (émotion, ironie, réalisme…), sur des choix d’exposition (quels personnages, quel point de vue, quel temps pour les verbes, quel niveau de langage…) mais jamais sur le genre tout simplement parce qu’il s’impose de lui-même. D’ailleurs il m’arrive de brouiller les cartes. Celui qui parle aux morts ou Elstramadur sont des récits de SF, mais ils utilisent des procédés narratifs de la fantasy. Il fut un temps où une telle aberration m’aurait valu d’être cloué au pilori. Comme quoi il suffit d’attendre : la mousse finit toujours par retomber.


Si tu devais nous citer deux trois de tes nouvelles, qui t’ont marqué, ce serait lesquelles ?

En premier lieu, La Roulotte, d’une part parce que ce fut le premier texte accepté par Fiction, ce que je n’imaginais pas envisageable quelques mois plus tôt, d’autre part pour des raisons familiales que j’expose dans la préface. 

La Peau bleue : le premier texte où j’ai eu le sentiment d’avoir réussi à faire ce que je voulais faire, un maximum de sens dans un minimum de mots, avec une écriture blanche qui excluait tout effet de style

Enfin, Éléments pu servir à l’histoire d’une émission populaire, un texte paru dans Mouvance que je n’ai pas repris dans le recueil parce que, se présentant comme un collage de documents administratifs (bordereaux d’envoi, fiches téléphoniques, notes de service…) en usage dans les années 70, il aurait été incompréhensible à l’âge des mails et des fichiers partagés. Mais je m’en souviens comme d’une de mes premières (et pour le coup radicales) réflexions sur la forme en tant que vecteur du récit, non comme simple expression du fond, mais comme constitutive de ce fond. 


Si tu devais nous citer deux trois nouvelles qui t’ont marqué chez d’autres auteurices, ce serait lesquelles ?

Joker ! En choisir si peu serait se montrer injuste. Il y en a tant. Adolescent, je me suis nourri des nouvelles parues dans Fiction et diverses anthologies. Hier Heinlein, Asimov (Les robots !), Bradbury (À travers les airs ou comment faire comprendre la mentalité du sud des USA mieux qu’en dix volumes), Shekley, Le Guin (Ceux qui partent d’Omelas, difficilement surpassable), aujourd’hui Liu, Kreis, Johnson. Du côté francophone, Vian (Les fourmis), Andrevon (Halte à Broux), Klein (Les virus ne parlent pas), Sternberg, plus récemment Dunyach, Lainé… À quoi il faudt ajouter les textes qui ne se rattachent pas à la littérature de l’imaginaire. Bâtir un feu, de Jack London, que j’ai lu enfant, a sans doute davantage compté pour ma formation éthique que les leçons de morale que me dispensaient les hussards de la République. La femme de haute taille et le petit mari de Feng Jicai, Le papa de Simon, de Maupassant : comment susciter l’émotion en deux lignes en évitant tout pathos. Quelles leçons ! La pratique de l’écriture a modifié mon approche de lecteur. Bien sûr, je recherche avant tout dans la lecture un certain plaisir, mais j’ai perdu ma naïveté. La bonne nouvelle (si j’ose le dire ainsi) est que je continue d’apprendre.


Si tu avais un message à adresser à tes lecteurices, quel serait-il ?

Situation paradoxale : en tant qu’individu, je n’ai pas la prétention d’avoir un message à délivrer. Pourtant, en tant qu’auteur, j’ai l’ambition de m’adresser au plus grand nombre, par des récits qui ne sont pas purement récréatif. Disons que mon propos est davantage de poser des questions que d’apporter des réponses, d’ouvrir un dialogue plutôt que d’affirmer un point

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