Chien de Guerre – De Vent et de Colères – Jean-Laurent Del Socorro.

Chien de guerre, nouvelle de Jean-Laurent Del Socorro">

Nous vous proposons de découvrir Chien de guerre, nouvelle inédite de Jean-Laurent Del Soccoro, dans l’univers de Royaume de vent et de colères. Si vous aviez déjà lu l’intégrale des textes de Jean-Laurent dans cet univers, vous voici donc avec l’opportunité de lire le dernier texte en date. Mais attention, cette mise à disposition est de courte durée. L’offre ne dure qu’un mois, jusqu’au 24 novembre. Ensuite, cette page de notre blog disparaîtra.

De Vent et de Colères

1. Capitaine N’a-qu’un-œil 

8 novembre 1595, siège de La Fère, France. 

Je suis le capitaine d’une bande de lansquenets : la compagnie du Chariot. Un mois plus tôt, nous étions les ennemis du roi de France ; aujourd’hui, nous sommes dans son armée. C’est l’avantage d’être des mercenaires : quand un camp n’a plus d’argent, c’est celui d’en face qui vous engage.

Henri IV veut chasser les troupes espagnoles qui occupent encore certaines villes de son royaume. Voilà comment ma compagnie se retrouve à faire le siège devant La Fère, au nord-est de Paris. Le roi de France n’a pas lésiné sur les moyens : en plus de ses régiments, il a fait venir cinq enseignes suisses, une troupe picarde et même des soldats anglais dont l’accueil nous revient. Le chef de mes arquebusiers, Crache-misère, s’en inquiète un peu.

— Keuf… Capitaine, tu sais parler anglois, toi ?

— Quelques mots, mais ça ne va pas très loin.

J’ai été longtemps le seul à savoir lire et écrire dans la compagnie. Il y a deux ans, quand je suis devenu capitaine du Chariot, j’ai décidé d’apprendre les bases à mes seconds. Cela devenait indispensable de pouvoir transmettre mes ordres par écrit.

— Hum… Moi, les Anglais, je ne les aime pas trop…

Lui, c’est Gueule-en-biais, à la tête de nos piquiers.

— De toute façon, tu n’aimes personne, Gueule-en-biais. Va plutôt me chercher Tremble-voix. 

— Notre porte-drapeau ? Mais pour quoi faire, capitaine ?

— Parce que, lui, il cause anglois.

Crache-misère intervient entre deux quintes de toux : 

— Keuf… Si c’est le Bègue qui nous sert d’interprète, faudra pas être pressés…

Je quitte le rocher où j’étais posé pour mettre un terme à la discussion. Mes subalternes saluent avant de retourner à leurs postes. Deux clairons sonnent alors pour annoncer l’arrivée des Anglais. Sans surprise, la reine Élisabeth Ire ne nous a pas envoyé ses yeomen – ses gardes du corps d’élite. L’unité qui progresse vers nous est composée de trois cents miliciens volontaires. Rien à voir avec les tercios espagnols qui nous font face et qui sont, eux, de véritables militaires de carrière. Mais peu importe : des renforts restent des renforts. Ils sont les bienvenus dans ce siège qui va sans doute durer plusieurs mois.

Les troupes anglaises portent des collants et des vestes rouges cousues de croix de saint Georges ainsi que des chapeaux noirs et ronds. Des collerettes blanches complètent leur uniforme, ou de la dentelle pour les plus riches. Je dénombre surtout des piquiers et des hallebardiers, mais aussi quelques fantassins armés d’épées et de boucliers. Je compte également une cinquantaine d’arquebusiers, escortés par autant de cavaliers. Ces derniers, mieux équipés, sont sans aucun doute les vétérans qui forment les nouvelles recrues. J’identifie sans mal les officiers, reconnaissables aux étoles rouges en bandoulière et à leurs longues pertuisanes qui permettent à leur troupe de les repérer facilement pendant les batailles.

Je me sens soudain observé. Je baisse la tête sur un chien qui me dévisage, la langue pendante. Pourquoi il me regarde comme ça, ce clébard ?

2. Toby

C’est la première fois que je rencontre un homme avec des cuisses de grenouille. Il porte un collant noir et bordeaux avec une chemise à manches bouffantes, ainsi qu’un béret à larges bords sur lequel est fichée une plume rouge, et une épée courte accrochée à la ceinture. Ma truffe sent l’odeur de la poudre mélangée à la viande crue. L’homme aux jambes de grenouille et ses semblables parlent cette langue étrange qui n’est pas de l’anglais.

Dire qu’il y a une semaine encore, j’étais avec mon bon maître William. Quel grand homme ! Un artiste qui écrit des sonnets et des pièces de théâtre. Maître Will me lit toujours les textes qu’il vient de finir. Il m’a même décrit dans une de ses pièces ! J’étais si fier. Une autre fois, je l’ai surpris en train de murmurer mon nom :

— Toby, or not Toby?

Maître Will n’a pas encore terminé cette pièce-là, mais je crois qu’elle s’appellera Omelette ou quelque chose comme ça. La dernière fois que je l’ai vu, c’était pendant la répétition de Roméo et Juliette, une histoire d’amour impossible entre deux adolescents italiens dont les familles sont rivales.

Une pièce tellement romantique… mais dans laquelle les humains s’avèrent parfois stupides. Pourquoi Juliette sort-elle à moitié nue dans la nuit glaciale ? Et pourquoi Roméo grimpe-t-il sur le mur, au risque de tomber, alors qu’il y a des escaliers à l’intérieur de la maison ? Ces deux héros sont des crétins.

J’ai quitté le théâtre pendant que les humains s’adonnaient à une de leurs habitudes étranges : taper des mains pour montrer leur contentement. Je suis allé me promener sur les quais pour goûter à l’air marin et me suis retrouvé face à une troupe de soldats particulièrement nombreuse – quatre ou cinq fois le nombre de saucisses que je peux dévorer en une journée. Je me suis approché pour comprendre ce qu’il se tramait. Ce fut ma première erreur.

Les militaires embarquaient sur un navire pour un voyage que je devinais long, car ils emportaient beaucoup de nourriture avec eux. Les barils étaient remplis d’eau, de poissons salés, de pain, de pommes… et des plus gros jambons que je n’avais jamais vus ! Je me suis imaginé assez rapide pour goûter un peu de cette viande avant qu’ils ne l’embarquent. Ce fut ma seconde erreur.

Je venais de mordre dans le jambon quand une voix m’a aussitôt hurlé dessus. J’ai juste eu le temps de battre en retraite pour éviter un coup de pied botté. Paniqué, j’ai couru à l’intérieur du bateau au lieu de retourner dans la rue. Le temps que je me rende compte de ce qu’il se passait, les soldats avaient hissé l’échelle à bord et le navire avait quitté le port.

Deux jours plus tard, nous débarquions sur une terre inconnue. Je n’ai pas eu d’autre choix que de suivre la compagnie, dirigée par une capitaine aux oreilles décollées et couverte de taches de rousseur.

Voilà comment je me retrouve aujourd’hui face à l’homme-grenouille à la langue étrange. J’ai l’intuition que nous pourrions devenir bons amis. Il se retourne quand je trottine derrière lui et me crie « Clay Bar » – « barre d’argile » –, sans doute le nouveau nom qu’il veut me donner. 

Je comprends qu’il s’appelle quant à lui N’a-qu’un-œil. J’accompagne mon nouveau maître jusqu’à sa tente dont il ferme le rideau derrière lui. Je m’allonge devant pour l’attendre, confiant : j’ai l’impression qu’il m’aime beaucoup. 

3. La fraternité de l’année

Mais qu’il est con, ce chien ! J’ai trébuché sur lui en quittant ma tente. Il ne pouvait pas dormir ailleurs ? D’où il sort, d’abord, ce cabot blanc et brun court sur pattes ? J’ai beau lui crier dessus, il ne veut pas déguerpir – je le soupçonne d’être un peu sourd. Il me colle jusqu’à ma rencontre avec la capitaine anglaise, lady Katherine. Mon porte-drapeau m’attend déjà pour faire la traduction.

— Dis-leur qu’ils doivent s’installer sur notre flanc droit, Tremble-voix, entre le régiment picard et le nôtre. 

— Ou… oui, capitaine ! … You… You English sol… soldiers… Tents… the… there… and there! Good?

L’officière lui répond en français :

— Pas d’problème.

Ce grand échange stratégique terminé, j’en profite pour aller donner des ordres de mon côté, le chien toujours sur mes talons. Ça fait bien rire les gars de la compagnie, Gueule-en-biais le premier.

— Hum… Comme ça, tu t’es fait un nouvel ami, capitaine ? Si j’étais toi, je me méfierais : cette bête te renifle la jambe comme s’il voulait la boulotter.

— Oui, j’ai l’impression d’être un jambon. En attendant, ce clébard a toujours une meilleure trogne que toi. 

Crache-misère et Tremble-voix s’y mettent à leur tour :

— Keuf… C’est quoi comme race de chien ? 

— C’est… un… un bou… boule…

— Hum… Un bouboule ? Connais pas.

— Mais laisse-le donc finir, Gueule-en-biais !

— Un boule… bouledogue anglais.

— Bon, maintenant que tu as étalé ta science canine, si tu allais utiliser celle de la langue anglaise pour demander à nos nouveaux alliés s’ils connaissent le propriétaire de ce foutu chien ? 

Tremble-voix s’exécute et apprend que c’est un chien errant qui a suivi la compagnie anglaise depuis Calais. Il s’est choisi un nouveau maître pour remplacer celui qu’il a perdu et, pas de chance, il a fallu que ça tombe sur moi.

Lady Katherine vient me retrouver une fois son régiment installé. Nous avons un nouvel échange laborieux avec Tremble-voix comme interprète. Je propose à mon homologue de lui faire faire le tour de notre campement, ce qu’elle accepte avec enthousiasme. 

— Je… je vous… acc… compagne… capitaine ?

— Merci, ce sera bon, Tremble-voix. Lady Katherine semble comprendre assez bien le français. Je vais me débrouiller.

Nous empruntons deux chevaux pour entamer un tour dans le sens des aiguilles d’une horloge. La ligne de siège comporte de nombreux ravelins en forme de V et quelques redoutes. Nous arrivons au nord, à Traversy, une petite bourgade où le roi a installé ses quartiers. Le voilà qui sort justement de ses appartements, un petit hôtel fortifié où flotte une bannière avec ses armoiries : d’azur aux trois fleurs de lys d’or. Je le fais habilement remarquer à lady Katherine :

— Là ! The king!

Henri IV s’avance vers nous dans son imposante armure noire aux cuissardes écrevisse, avec à la taille une large écharpe et sur la tête ce casque à panache blanc qui a fait sa renommée sur les champs de bataille. Je me mets en retrait pendant que lady Katherine s’incline devant lui quand, soudain, ce maudit clébard s’élance avant que j’aie pu le retenir. Je m’apprête à m’excuser auprès du roi, mais il se fend d’un sourire et flatte le flanc du chien avant de s’en aller retrouver les nobles qui l’attendent vers les tentes plus loin.

Nous reprenons notre périple jusqu’au parc d’artillerie, fortement gardé, qui abrite nos canons et nos réserves de poudre. Nous observons la cité entourée de ses larges remparts renforcés de bastions. La moue de lady Katherine trahit ses pensées : faire tomber La Fère ne sera pas une chose aisée. 

Nous faisons une halte un peu plus loin pour détailler les navires qui forment un blocus sur l’Oise et sur les prairies inondées qui entourent la ville. Lady Katherine s’intéresse au chien qui nous suit depuis le début de notre périple.

— Come! Sit!

Je regarde avec étonnement le clébard s’asseoir docilement au pied de la capitaine. Quel crétin je fais ! L’animal est arrivé avec les Anglais, il ne comprend que leur langue. Pas étonnant qu’il n’entende rien à mes ordres. 

— Good dog.

Lady Katherine sort un biscuit de la poche de sa veste pour le tendre à l’animal. Il le boulotte avec avidité. 

Nous voilà bientôt de retour à notre point de départ au petit village d’Andelain, au sud de La Fère, où la compagnie du Chariot a pris ses quartiers avec les autres troupes de mercenaires.

— Grand merci pour la visite, cap’taine ! 

La honte me fait rougir quand je lui réponds par quelques mots d’anglois indistincts prononcés avec un accent désastreux. Lady Katherine prend congé, me laissant seul avec le clébard qui me dévisage en bavant. Il ne ressemble vraiment à rien, mais je crois que je commence à m’habituer à lui.

4. Henri IV

Étrange, ici il ne semble y avoir que des soldats. Où sont les fermiers, les boulangers et les bouchers ? C’est peut-être pour cela que tous ces gens assiègent la ville : pour y entrer et y dénicher des saucisses ! 

Mon maître est allé trouver lady Katherine, mais ils ont échangé peu de mots – peut-être par timidité ? Oh, ou peut-être est-ce un rendez-vous galant, les tout premiers instants d’une romance naissante ? Ils feront un couple charmant, lui, habillé comme un arc-en-ciel fripé ; elle, dans son armure rutilante. L’homme-grenouille et la princesse : ce pourrait être le titre d’une pièce de maître Will ! Je leur souhaite juste que leur histoire d’amour ne se termine pas comme celle de Roméo et Juliette.

Nous avons croisé un roi pendant notre promenade, pourvu d’un gros nez, mais à l’air gentil. Son armure ressemblait à deux crevettes géantes – ça m’a donné faim. Maintenant que nous sommes de retour, je passe le reste de l’après-midi à courir entre les râteliers et les feux de camp. Un homme à la toux tenace me menace avec son poignard quand j’essaie de renifler un de ces bâtons à flammes qu’ils appellent « arquebuse ». 

J’accompagne mon maître et ses amis jusqu’à l’auberge quand arrive la fin de journée. Il se retourne vers moi, arrivé à la porte, me dévisage et sourit finalement avant de me laisser entrer avec lui. Je sens le feu de la cheminée me réchauffer dès que je franchis le seuil. J’aboie en découvrant lady Katherine, mais surtout l’odeur du lieu. J’ai enfin trouvé où étaient cachées les saucisses.

5. Les deux tournées

Il mange comme quatre, ce chien ! Heureusement que je n’ai pas une famille à nourrir, sinon, toute ma solde y passerait. Je me suis fait à l’idée qu’il me suive partout et je me suis même pris d’affection pour lui. Je m’attendris quand il lève son museau vers moi et me regarde avec son air de chien battu. Ce doit être l’âge. 

Nous partageons avec lady Katherine une miche de pain accompagnée de charcuterie, d’Angelots de Normandie et de fromages à la crème de Montreuil. Nous découvrons avec ravissement que la taverne d’Andelain est également bien achalandée en vins du royaume que nous nous faisons un devoir de goûter. Si la conversation avec la capitaine anglaise est d’abord limitée, nos langues se délient de verre en verre. 

— Wine, lady Katherine ? 

— Oui, s’il vous plaît, cap’taine. 

— You’re welcome. Et il dit quoi, ton rouge, Gueule-en-biais ? 

— Hum… Fumeux et vineux. J’aime bien. 

— Il monte pas trop à la tête ? 

— Si, mais on dit que les crus d’Orléans sont profitables aux boyaux et à l’estomac, alors, je soigne mon ventre. Tu bois quoi comme blanc, toi, Crache-misère ? 

— Un vin d’Anjou chaud et sec comme je les aime. Tu en veux un peu, capitaine ? 

— Ah, les vins d’Anjou, très peu pour moi, ils font cracher. Je reste sur mon clairet français. Les crus de Sèvres, eux au moins, ils sont faciles à digérer. 

— Vous devriez vous méfier, capitaine. Ces vins-là, ils se boivent tout seuls, mais ils sont traîtres comme des Gascons. Hum… Il ne restait pas un pichet de Guyenne à finir ?

— Cheers!

— Santé !

Lady Katherine est une femme pleine d’humour et d’esprit qui me fait penser à notre ancienne capitaine, Axelle. La nostalgie me replonge un instant des années en arrière quand je n’étais que le prévôt de la compagnie du Chariot. 

Nous bavardons en tête à tête avec lady Katherine pendant que mes seconds rivalisent de leur expertise viticole. Je ne me fais aucune illusion : si elle partage bien volontiers notre table dans cette taverne, elle est noble et moi, un simple soldat. Être embauché par le roi n’y change rien : un mercenaire reste un mercenaire. Le temps se perd dans la nuit jusqu’à ce que nous retournions chacun à notre tente pour nous reposer quelques heures avant l’aurore. 

J’ai mal au crâne au réveil, et pas seulement d’avoir trop travaillé mon anglais.

— Je t’avais prévenu, capitaine : méfie-toi du clairet.

— Tais-toi, Gueule-en-biais.

Si le chien m’attend à nouveau à la sortie de ma tente, il a eu cette fois la présence d’esprit de se décaler pour que je ne le piétine pas. Crache-misère me fait soudain remarquer :

— Capitaine, tu ne lui as toujours pas donné un nom ? 

— Pas besoin. Clébard, ça lui suffit bien.

En fait, je ne veux pas m’attacher à lui en le baptisant ni reconnaître devant mes lansquenets que je me suis pris d’affection pour ce cabot. J’ai déjà bien assez de mal à me faire respecter d’eux comme ça.

Je vais trouver notre porte-étendard, posé sur un talus, en train de griffonner sur une feuille. Tremble-voix est un artiste dans l’âme qui ne peut s’empêcher de dessiner dès qu’il en a le temps. Il profite de ne pas être de garde pour croquer la cité.

— Fais voir. Chapeau bas, l’ami.

— Mer… Merci, capitaine !

La Fère apparaît dans ses moindres détails : la chaussée du corps de garde, les contreforts de la petite citadelle, les hautes flèches effilées terminées par une croix de la cathédrale et de l’hospice, les haies taillées des jardins qui bordent l’Oise au cœur de la ville, la roue du moulin adossé à l’église, jusqu’aux fenêtres soigneusement croquées qui parsèment les toits en pente du château fortifié. 

— Tu as vraiment un beau coup de crayon… Puisque je te croise, j’ai un petit service à te demander, si tu veux bien. Tu vois, lady Katherine m’a dit que le chien était anglais. Du coup, j’aurais besoin de connaître deux ou trois trucs…

Tremble-voix accède à ma requête avec enthousiasme. Une demi-heure plus tard, me voilà riche de quelques mots de vocabulaire anglois de plus. 

— Come, the dog. Allez, come!

Le clébard lève sur moi un regard incertain, mais ne bronche pas. Il va me falloir pratiquer davantage. Je consacre le reste de ma journée à l’inventaire de nos vivres. J’abandonne le compte des sacs de farine quand des coups de canon tonnent depuis les murs de la ville. Je rejoins Crache-misère qui me résume la situation :

— Le roi a envoyé plusieurs régiments vers le faubourg Saint-Quentin et à la porte du Luxembourg. Keuf… 

— Il veut éprouver les défenses de la ville. 

— L’idée est bonne, mais il aurait dû choisir des endroits moins fortifiés pour ça. 

Les escarmouches tournent en effet court. À l’est, l’armée royale bat déjà en retraite devant les pièces d’artillerie espagnoles qui couvrent efficacement le périmètre. À l’ouest, l’assaut se prolonge un peu plus, car il est appuyé par les canons embarqués sur nos navires, mais les tercios nous repoussent quand même. Avant de se replier, quelques régiments royaux parviennent à lancer des bombes incendiaires par-dessus les murailles pour enflammer les faubourgs. 

— Tu en dis quoi, Crache-misère ? 

— Que ce siège va durer, capitaine. Au moins ça va faire plaisir à ton chien. 

Le clébard gigote en effet à nos pieds. Crache-misère a raison : les combats semblent l’amuser comme un fou.

6. La garde de nuit

J’adore les batailles ! Au début, j’avais peur de leurs bruits, mais je m’y suis habitué. Ouaf ! L’orage des tambours avant l’assaut, le tonnerre du canon sur les collines, le crépitement des arquebuses… et tous ces charmants drapeaux colorés flottant dans le vent.

Le combat terminé, mon maître finit de compter les barils de viande salée tout le reste de l’après-midi. Arrive enfin l’heure du dîner ! Malheureusement, nous n’allons pas à la taverne ce soir et restons autour d’un feu de camp avec seulement une soupe d’oignons chaude et du pain sec. Les saucisses me manquent. 

Mon maître attrape sa besace en voyant ma mine apitoyée. Il en sort du lard dont il coupe une lanière qu’il me lance par-dessus les flammes. J’aboie pour le remercier avant de dévorer la viande avec appétit. Les étoiles en train d’éclore dans le ciel me remettent en mémoire quelques vers de maître Will :

Viens, gentille nuit ; viens, chère nuit au front noir,

Donne-moi mon Roméo, et, quand il sera mort,

Prends-le et coupe-le en petites étoiles,

Et il rendra la face du ciel si splendide

Que tout l’univers sera amoureux de la nuit

Et refusera son culte à l’aveuglant soleil…1

Je décide d’accompagner mon maître quand il part faire sa ronde. Le vent froid s’abat sur nous dès que nous quittons le couvert des tentes. Il s’arrête régulièrement à chaque poste de garde pour leur poser quelques questions avant de leur adresser des mots d’encouragement. Mon maître joue le rôle d’un chef sévère, mais c’est un homme gentil. 

Nous atteignons une heure plus tard un petit village et je renifle aussitôt l’air : pas de taverne ! Déçu, je trottine pour rattraper mon maître. Notre inspection se termine autour d’un feu de camp au pied d’un fortin, en compagnie des gardes en faction devant la porte de bois. Mon maître y réchauffe ses mains et, moi, mon museau gelé. Je me sens bien.

J’observe dans la nuit la ville dont les lumières des torches rampent comme des lucioles le long des remparts. La cité apparaît comme un théâtre d’ombres dont la plus haute est celle de la cathédrale aux tours tendues vers la lune comme des doigts effrayants.

Notre trajet du retour me semble plus court. Je décide de poursuivre seul la ronde quand mon maître va se coucher. La nuit se rassemble et voici que débute ma garde. L’air se fait plus glacé autour de moi. L’hiver vient. 

7. Le retour du froid

24 novembre 1595.

Je suis convoqué par une vieille connaissance : la lieutenante royale Agnès de Loignac. La compagnie du Chariot a déjà rempli une mission sous ses ordres quand elle était au service du précédent roi, Henri III. Oh, trois fois rien : il était question d’user de pouvoirs alchimiques pour assassiner le duc de Guise.

La lieutenante n’a pas changé : je peux sentir son autorité naturelle se dégager d’elle dès que je pénètre dans sa tente. Elle délaisse le plan qu’elle compulse et glisse derrière son oreille une mèche blonde qui tombe devant ses yeux gris pour mieux me percer de son regard.

— J’ai failli attendre, capitaine N’a-qu’un-œil.

— Mais me voilà, juste à l’heure. Enchanté de vous revoir, lieutenante de Loignac. 

Elle fait un signe à son aide de camp de me remettre une feuille enroulée.

— Nos éclaireurs indiquent que des troupes espagnoles se rassemblent plus au nord.

— Ils veulent briser notre blocus par l’extérieur.

— J’envoie votre compagnie sur place pour le vérifier et pour faire fuir les régiments de tercios s’il s’avère qu’il y en a.

— À vos ordres, lieutenante.

— Rompez. Et reprenez votre chien avant qu’il ne bave sur mon tapis.

Je ressors de la tente à grandes enjambées.

— Alors, comment as-tu trouvé la lieutenante, clébard ? Sympathique, n’est-ce pas ? 

Nous quittons La Fère une heure plus tard et il nous en faut trois de plus pour arriver à l’endroit indiqué où les fameux informateurs d’Agnès de Loignac nous attendent. Après les courtes salutations d’usage, nous nous déployons dans les alentours, prêts à accueillir les tercios comme il se doit. 

Nous poireautons cinq jours entiers, mais les Espagnols ne se montrent pas. De nouveaux ordres nous demandent finalement de rentrer pour la plus grande satisfaction de mon chien – mais pas la mienne. Cette mission inutile cassait au moins la monotonie du siège. L’ennui me regagne dès que j’aperçois à nouveau les contours de La Fère à l’horizon.

— Nous voilà de retour pour faire face aux pires maux des mercenaires : l’attente et l’inaction.

— Keuf… Sauf votre respect, capitaine, les plus terribles après la mort et l’amputation.

— C’est pas faux, Crache-misère.

Nous remarquons des soldats affairés à charrier des monceaux de terre. 

— Je dirais qu’ils montent une digue, keuf. Vous étiez au courant, capitaine ?

— Pas du tout.

Mais une nouvelle plus terrible encore provoque la fureur de Gueule-en-biais.

— Quoi, la taverne d’Andelain a brûlé ? Mais ça m’énerve, ça ! Pour une fois qu’il y a une chose qui vaut le coup, il faut qu’elle crame !

Nous apprenons que les Espagnols ont tenté une sortie. Les enseignes suisses alors de garde les ont repoussés, mais les tercios ont eu le temps de mettre le feu à l’abbaye du Calvaire avant de se replier, sans doute pour se venger de l’incendie du petit faubourg. Manque de bol, la taverne jouxtait l’église.

— Foutus Helvètes… Même pas capables de défendre une auberge !

Un malheur n’arrivant jamais seul, la lieutenante me convoque. Je me retrouve quelques minutes plus tard debout devant De Loignac qui me salue sans lever la tête de la feuille sur laquelle elle écrit avec application.

— Bonjour, capitaine N’a-qu’un-œil. Pourquoi ce sourire stupide qui n’est pas sans rappeler celui de votre cabot ?

— Je suis ravi de voir à quel point je vous ai manqué, lieutenante, pour que vous me convoquiez à peine revenu.

Elle met sa plume dans l’encrier, ses coudes sur la table, ses mains l’une contre l’autre et son menton contre ses index.

— Il n’aura pas échappé à votre grande sagacité qu’un chantier d’importance était en cours. Un noble flamand a réussi à convaincre un proche du roi qu’une des meilleures méthodes pour faire tomber La Fère serait de l’inonder. Si Sa Majesté n’est pas pleinement convaincue de l’efficacité d’un tel stratagème, elle a cependant donné son accord pour entamer les travaux.

— Si vous me permettez, lieutenante, vous ne semblez pas souscrire à cette entreprise.

— Non, je ne vous permets pas ; et non, je ne crois pas en ce projet idiot. Il mobilise nos sapeurs qui seraient plus utiles à creuser sous les murailles de la ville qu’à monter une digue ! Une partie de nos messagers a également été réquisitionnée pour cette absurdité. Malgré cela, les effectifs ne sont pas suffisants. C’est là où vous et vos hommes entrez en jeu.

— La sape n’est pas la spécialité de la compagnie du Chariot.

— Vous savez creuser des tombes. Les canaux sont juste plus longs et moins profonds.

Comment pourrais-je refuser des ordres donnés avec autant d’amitié ? Je m’apprête à prendre congé quand la lieutenante me retient.

— Votre insolence me déplaît, mais j’apprécie votre travail. 

— Vous non plus, vous n’êtes pas toujours facile, mais j’ai rarement vu une officière aussi compétente que vous. 

— Encore une fois, je n’attendais pas votre avis, capitaine, mais merci. Rompez. 

Je partage un sourire avec elle avant de retourner à mon campement. Cette journée n’aura pas apporté que des mauvaises nouvelles finalement. 

L’avantage d’être capitaine, c’est que vos subalternes vous obéissent toujours avec bonne volonté, sans jamais rechigner. 

— Hum. Mais qu’est-ce qu’on en a à faire de cette digue ? On est mercenaires, pas fossoyeurs. Si le roi veut des trous, il n’a qu’à les faire lui-même ! 

— Tu te plaignais de l’ennui, Gueule-en-biais. Te voilà exaucé. Donc, tu prends tes piquiers et tu vas trouver les sapeurs qui te donneront tes instructions. De mon côté, je superviserai avec le chef du chantier.

— Et Crache-misère et ses soldats ? Ils ne participent pas, eux ?

— Tu vois, Gueule-en-biais, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont une arquebuse chargée et ceux qui creusent. Toi, tu creuses.

Il me jette un regard mauvais avant de le reporter sur le chien qui le regarde, langue pendante.

— Même lui ne fout rien. Y a que moi qui bosse dans cette compagnie. 

Je pose à mon tour mes yeux sur l’animal qui prend soudain un air intrigué.

— Eh bien, figure-toi qu’on manque de messagers dans le camp et j’ai une petite idée pour remplacer le nôtre…

8. Le hobby

Mon maître m’apprend un nouveau jeu amusant. Premièrement : il me tend un papier roulé que je dois prendre dans ma bouche. Deuxièmement : mon maître prononce un nom. Troisièmement : je cours aussi vite que possible pour délivrer le message à la personne indiquée. Les règles semblent simples, mais attention, certains pièges les compliquent.

Par exemple, quand vous prenez le papier, vous n’avez pas le droit de le manger. La première fois, j’ai déchiré le message en morceaux. N’a-qu’un-œil m’a jeté un regard que je ne suis pas près d’oublier. J’ai tout de suite compris que j’avais fait une bêtise. J’ai été beaucoup plus délicat lors de mes essais suivants.

Très important également : il ne faut pas se tromper de personne. À ma deuxième tentative, je n’avais pas bien compris le nom. J’ai délivré le message à la lieutenante. Dès qu’elle l’a lu, elle a immédiatement convoqué mon maître pour lui passer un savon !

Je m’améliore de jour en jour à ce jeu. J’aime par-dessus tout apporter des messages à lady Katherine, car elle a toujours un mot gentil pour moi – et un bonbon. J’ai aussi croisé à deux reprises le roi Henri, qui m’a reconnu ! Il m’a appelé « mon petit ami ». Comme je suis fier ! Je suis cependant déçu qu’il ne m’ait pas donné un sucre comme lady Katherine. 

Notre compagnie organise une fête au milieu des tentes pour la fin d’année, au cours de laquelle les soldats rient, boivent et s’offrent des cadeaux. Je fais ma tête de pitou à N’a-qu’un-œil qui me tend alors une part du pudding que lui a offert lady Katherine. Joyeux Noël !

9. L’enseigne, heurt des assauts

17 janvier 1596. 

Cela fait plus d’un mois, maintenant, que mes lansquenets œuvrent aux côtés des sapeurs du roi pour monter la digue. La mauvaise saison gèle les sols et rend l’excavation de la terre difficile. Mes vieux os supportent de moins en moins le vent glacial de l’hiver. Je pense une nouvelle fois à Axelle, notre ancienne capitaine, qui a déposé les armes il y a quelques années déjà. Elle s’est installée avec son sergent à Marseille où ils tiennent désormais une auberge. Je me dis que je devrais peut-être songer à faire comme eux. 

Mauvaise nouvelle : les pluies violentes de la nouvelle année font déborder l’Oise. Une partie de la digue est emportée et les efforts de Gueule-en-biais avec, pour son plus grand déplaisir.

— Capitaine, on va creuser encore longtemps ? Parce que j’aime bien travailler pour rien, mais là, ça commence à faire long. 

— Un peu de patience, Gueule-en-biais. Je crois que le coût de cette entreprise aura bientôt raison des finances royales. 

— En parlant d’Henri IV, cela fait des semaines qu’on ne l’a vu ni sur le chantier ni dans le campement. 

— Il est parti au château de Folembray pour négocier avec le pape et le roi d’Angleterre.

— Mouais… Il est surtout allé retrouver la belle Gabrielle d’Estrées dont il s’est amouraché.

— Quand tu en auras fini avec tes ragots, tu voudras bien aller voir par là-bas si la terre est assez meuble pour être creusée ? 

Gueule-en-biais s’éloigne en grommelant. Mon humeur non plus n’est pas bonne. Mes lansquenets s’impatientent et je dois durcir la discipline. Le seul à prendre la situation du bon côté, c’est mon chien dont le dressage comme messager s’est avéré un calvaire. Ce couillon a même transmis l’ordre que je destinais à Gueule-en-biais à Agnès de Loignac : Râle moins, bosse plus vite. J’ai bien cru que la lieutenante me mettait aux fers. 

Maintenant, le clébard ne se trompe plus de destinataire et délivre mes messages de plus en plus vite. Mes gars ont peut-être raison : il faudrait que je lui trouve un nom.

Le roi réapparaît à la mi-janvier pour inspecter l’avancée des travaux. Il espère pouvoir bientôt inonder La Fère, mais je ne partage pas son optimisme.

Alors que je me demande comment occuper mes lansquenets qui ne sont pas sur le chantier, les Espagnols apportent une solution toute prête à mon problème.

— Alerte ! Attaques aux portes du Laon et du Parc !

Les tercios ne veulent pas nous laisser les inonder sans rien faire et tentent une sortie pour saboter nos travaux. Ils ne se contentent pas de charger le canal, mais d’attaquer également nos positions au sud tandis qu’une troisième vague engage une escarmouche avec nos régiments à l’est. C’est notre ligne de défense la plus fragile, car la forêt nous a interdit d’y dresser des forts et des redoutes. 

J’avoue que cet affrontement ne me déplaît pas : moi aussi, j’avais envie de me dégourdir les jambes. Je reste avec la moitié des piquiers pour défendre le chantier, soutenu par les arquebusiers de Crache-misère. Gueule-en-biais et la seconde moitié vont quant à eux prêter main-forte aux enseignes suisses. 

— Au carré ! 

Les piquiers devant moi se regroupent immédiatement sur plusieurs rangs. Mange-la-boue et trois de ses doubles-soldes prennent place aux quatre angles de la formation, espadons en main. Crache-misère déploie de son côté ses arquebusiers en ligne sur notre flanc droit.

— À mon commandement ! Feu ! 

La salve fauche les soldats espagnols les plus avancés. Leurs arquebusiers ripostent aux nôtres. Quelques piquiers qui tombent dans nos rangs sont aussitôt remplacés par ceux qui les suivent. Nous voyons les tercios émerger du nuage de poudre avant de nous charger en hurlant. 

— Assaut infanterie !

Les soldats en première ligne abaissent leur pique d’une main. De l’autre, ils sont prêts à dégainer dès que le corps-à-corps sera engagé. Les piquiers au deuxième rang passent leurs armes entre ceux qui les précèdent tandis que ceux du troisième rang les tiennent à l’horizontale par-dessus les têtes de leurs camarades. Le choc est brutal, mais mes mercenaires encaissent la charge sans broncher. La mêlée tourne vite à notre avantage et les Espagnols commencent déjà à refluer.

Satisfait, je reporte mon attention vers le régiment de Gueule-en-biais qui lui aussi fait reculer les tercios. Il n’a cependant pas remarqué que certains de nos ennemis s’apprêtent à le prendre à revers. Je devine immédiatement leur objectif : notre étendard, porté à bout de bras par Tremble-voix. Malheur et honte à nous s’ils s’emparent de notre enseigne !

Les miliciens anglais en retrait un peu plus loin pourraient venir en aide à Gueule-en-biais. Je griffonne un ordre sur un parchemin que j’avais préparé. Je le fourre dans le museau du chien.

— Lady Katherine ! Go!

Il s’élance sans hésiter vers les combats comme un véritable mercenaire du Chariot. Je le vois réapparaître par intermittence dans la fumée qui envahit le terrain. Les canons adverses commencent soudain à tonner pour couvrir la retraite espagnole. Je me surprends à m’inquiéter pour ce chien. Je suis vite rassuré quand je le vois s’amuser comme un fou à zigzaguer entre les boulets qui tombent.

10. L’étoile de la guerre

Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! 2

Je corrige mon affirmation précédente : la guerre, ce n’est pas drôle du tout ! Je dois éviter ceux qui essaient de me prendre en chasse, mais aussi les tirs de canon ! Je manque de lâcher mon message quand un boulet s’écrase devant mes pattes. J’essaie de me frayer un chemin dans ce chaos, mais la fumée des arquebuses me pique les yeux et je ne vois pas où je vais. Je trouve enfin un passage pour sortir du nuage de poudre.

Je tombe sur des ennemis affairés à enterrer d’étranges objets qui ressemblent à des saucisses de cuir, recouvertes de poix, pleines de poudre noire et reliées par de très longues ficelles à la ceinture des hommes. L’un d’eux est si surpris de mon apparition qu’il fait tomber l’appareil par mégarde. Je poursuis ma course et entends une grosse explosion juste derrière moi. Je ne connais pas la recette de ces saucisses, mais elles semblent assurément épicées !

Je rejoins enfin lady Katherine qui s’empare aussitôt de mon message. Eh ! Je n’ai pas droit à un bonbon, aujourd’hui ? La guerre est vraiment une chose horrible… Lady Katherine donne des ordres pour que ses soldats partent immédiatement à la rescousse de notre compagnie et repousser nos ennemis. 

Je retourne auprès de mon maître épuisé, mais heureux de me revoir indemne. Il me félicite avant de m’amener devant ses soldats qui m’applaudissent tous ! Même Gueule-en-biais siffle avec les autres. 

Le porte-drapeau vient ensuite s’accroupir devant moi pour me présenter la bannière. Je mets ma patte dessus. Tous crient encore plus fort. Mon maître me donne alors un tout nouveau nom : Héros, avant de m’enfiler un tabard brodé d’un chariot à deux roues sur fond noir et bordeaux. Me voilà désormais un membre à part entière de la compagnie ! Lady Katherine me félicite à son tour et même le roi Henri vient voir ce fameux Héros dont tout le monde parle. 

La vie reprend son cours normal dès le lendemain. Gueule-en-biais et ses soldats se remettent à creuser et moi, à porter des messages à travers le camp. Il y a cependant un changement important : les soldats espagnols ont enterré beaucoup de leurs saucisses un peu partout. Je dois dorénavant les éviter quand je cours en bordure du champ de bataille. Mes chemins les plus rapides sont aussi les plus dangereux. Je décide de montrer ces appareils à mon maître qui n’est pas du tout content de les découvrir.

Quand j’ai quitté Londres, je me suis senti ici comme un étranger. Mais maintenant, je m’y sens chez moi. La compagnie du Chariot est désormais ma nouvelle famille. 

Donc, voici l’hiver de notre déplaisir

Changé en glorieux été par ce soleil d’York. 3

11. La tonne de fer 

20 janvier 1596.

Les Espagnols se sont joués de nous. Nous pensions qu’ils effectuaient une sortie pour détruire le chantier alors qu’en réalité ce n’était qu’une diversion. Les tercios ont pénétré dans un de nos forts pour saboter notre artillerie et piller nos réserves de poudre et de balles. Les voilà plus riches en munitions et nous, plus pauvres en canons. 

Le gel se fait plus intense dès le lendemain pour compliquer davantage notre situation. La terre durcit à un point tel que nous devons renoncer à la creuser. Si Gueule-en-biais est content, cela n’est pas du goût de notre roi qui a investi beaucoup d’or et de patience dans cette entreprise. Il veut voir tomber La Fère, et ce, dans les plus brefs délais.

Comme si tout cela ne suffisait pas, il nous faut aussi mettre hors d’état de nuire les mines dont les Espagnols ont garni le champ de bataille pendant leur retraite. Tous nos sapeurs sont affectés à cette tâche prioritaire, délaissant ainsi les travaux de la digue, au grand mécontentement du chef de mes piquiers.

— Capitaine, il n’était pas prévu que nous nous retrouvions tout seuls à casser nos pelles sur la terre glacée.

— Tu préfères peut-être t’occuper des fougasses, Gueule-en-biais ? Je t’en prie, après toi. Les sapeurs t’accueilleront avec joie. Il leur reste pas mal de ces joujoux en métal à extraire du sol. Deux des leurs ont encore sauté ce matin en voulant en désarmer un.

— Elles dérangent qui, ces mines, d’abord ? Elles gênent autant les Espagnols que nous.

— Tu oublies un peu vite que ce sont les tercios qui tiennent l’extrémité du fil. Il leur suffit de tirer dessus pour les déclencher à distance. 

— Bah, elles n’ont pas toutes un mécanisme à chenapan, capitaine. La plupart, il suffit de passer dessus pour qu’elles pètent. Vous avez qu’à faire courir votre chien pour qu’il les déclenche. Comme ça, le problème sera vite réglé.

— Risquer la vie de Héros, Gueule-en-biais ? N’y pense même pas. Encore une suggestion de ce genre et c’est toi que je vais envoyer galoper sur les fougasses.

Le siège stagne entre le chantier arrêté par le froid et les assauts suspendus tant que les mines n’auront pas été enlevées. Henri IV vient chaque jour se rendre compte de la situation, comme si observer les sapeurs les faisait travailler plus vite. Le roi ordonne d’agir à ses officiers qui nous pressent à leur tour.

Nous prenons notre mal en patience. Mon anglais balbutiant s’améliore au fur et à mesure de nos discussions avec lady Katherine. Nos deux compagnies se sont rapprochées depuis que les Anglais ont sauvé notre drapeau. Des amitiés solides ont vu le jour, comme celle entre lady Katherine et moi, qui demeurera désormais au-delà de ce siège.

La majorité des mines est enfin désamorcée au bout d’une semaine. Les sapeurs s’apprêtent à reprendre les travaux quand les Espagnols tentent une nouvelle sortie. 

— Keuf, keuf… La bonne blague, capitaine. Les tercios nous attaquent maintenant que nous avons déblayé le chemin pour eux !

— Mais cette fois, Crache-misère, ils visent le chantier.

— Je leur souhaite bien du plaisir. La précieuse digue de notre cher Henri IV est bien défendue.

— Détrompe-toi. Le roi a fait alléger ses défenses pour renforcer celles des redoutes.

— Mais… Keuf… Pourquoi il a fait ça, bon sang ?

— Il voulait éviter qu’elles ne soient à nouveau pillées par les Espagnols.

— Et qui c’est qui se retrouve encore tout seul ? Le Chariot, pardi ! 

Nos rangs encaissent vaillamment la charge des tercios qui nous submergent cette fois assez vite. Certains nous contournent pour atteindre la digue et commencer à la saboter quand des renforts inattendus viennent à notre rescousse. 

— Keuf… Capitaine, c’est bien ce que je crois ?

— Oui, Crache-misère. C’est la compagnie royale.

Henri IV se lance dans la mêlée, entouré de sa garde personnelle. Les tercios, surpris, abandonnent la digue pour reculer dans la plaine. Pendant ce temps, nous sommes toujours engagés dans un corps-à-corps avec nos ennemis. J’enrage, impuissant, quand le roi prend en chasse les Espagnols en fuite :

— Le fou ! Il fonce tête baissée dans le piège que lui tendent les tercios ! Il se met à portée de tir et va se faire faucher par un boulet !

Comme pour appuyer ma prédiction, les canons sur les murailles de La Fère commencent à ouvrir le feu. Henri IV ne se rend toujours pas compte du danger qui le menace. 

— Il faut aller le prévenir, Crache-misère, ou nous sommes bons pour changer de roi ! 

— Mais comment ? Keuf… Oh, capitaine, regardez !

J’aperçois les miliciens anglais eux aussi en pleine mêlée avec nos assaillants entre deux nuages de poudre. Lady Katherine finit de rédiger un ordre qu’elle tend à une petite silhouette qui s’élance aussitôt derrière le régiment royal. 

— Héros !

Je suis la progression de mon chien, partagé entre fierté et inquiétude. Il est presque arrivé à la hauteur du roi quand la fumée d’une nouvelle salve se répand autour de moi. 

— Va pas prendre de risque inutile, clébard…

12. L’empire espagnol contre-attaque

Le roi se bat en plein milieu d’un champ de saucisses explosives ! Je dois le rattraper avant qu’une tragédie n’arrive. Je me concentre sur ma course sans me laisser distraire par les tirs de canons, quand deux soldats espagnols surgissent devant moi. Je veux les esquiver, mais ils sont assez rapides pour me bloquer le chemin. Je vois mon salut quand le plus grand des deux avance sa large main pour m’attraper. Je mords jusqu’au sang la main de l’homme qui recule en poussant un cri. L’autre soldat tente de s’emparer de mon message tombé à terre quand j’ai ouvert la gueule. Je réussis heureusement à m’en ressaisir avant lui et à reprendre ma course.

Je parviens à destination où les soldats des deux camps tentent de s’empaler dans une violente escarmouche. Je ne sais pas quoi faire quand j’entends des bruits derrière moi. Les deux Espagnols me rattrapent ! Je n’ai pas d’autre choix que de plonger dans la mêlée. 

Les épées s’entrechoquent au-dessus de ma tête. Je débouche enfin dans l’œil de ce cyclone de lames où je tombe sur le roi en plein duel avec un Espagnol. Je repère également la lieutenante, trop occupée elle aussi à repousser d’autres assaillants pour que je puisse lui transmettre le message. 

Le tercio se fend brusquement et le roi se décale vers la gauche pour éviter son assaut. Je repère immédiatement une saucisse explosive à côté de lui. S’il esquive une nouvelle fois, son pied va se poser dessus ! 

Je prends mon élan et bondis sur l’Espagnol qui recule instinctivement pour m’éviter. Le roi en profite pour lui transpercer la poitrine de sa rapière. Le tercio s’effondre, blessé à mort. 

Le roi me dévisage avec surprise. 

— Héros ?

Un sourire se dessine sous son gros nez. Je m’apprête à l’imiter quand je capte un mouvement dans son dos. Le mourant a repéré la saucisse explosive près de nous et rassemble ses dernières forces pour ramper jusqu’au fil qui la déclenche !

J’aboie, mais le roi ne comprend pas mon avertissement. La lieutenante se débarrasse de ses adversaires, et se met aussitôt à courir vers le roi en hurlant quand elle aperçoit la main ensanglantée du mourant s’emparer du fil. J’attrape la saucisse en pleine course avec mes crocs sans ralentir tandis que, derrière moi, la lieutenante plaque le roi à terre pour le mettre à couvert. 

L’homme tire sur le fil juste au moment où je lui bondis dessus. J’atterris sur son ventre, en lui fourrant la saucisse de métal dans la bouche. Son œil s’élargit de terreur lorsqu’il réalise l’horrible destin qui l’attend. Il veut crier, mais mes lèvres sur les siennes l’en empêchent. 

Ainsi je meurs sur un baiser. 4

13. Le rideau tombe

Je presse mes lansquenets pour aller au secours du roi dès que nos adversaires refluent vers la ville. Des éclaireurs nous ouvrent le chemin pour repérer d’éventuelles mines sur notre trajet. La voix tonnante d’Agnès de Loignac se fait entendre par-dessus le bruit de la bataille quand nous parvenons enfin jusqu’à elle. 

— Votre Majesté ! À terre !

S’ensuit l’explosion d’une fougasse. La même idée traverse aussitôt l’esprit de Crache-misère. 

— Tu crois qu’on vient de perdre notre roi, capitaine ?

— Ne parle pas de malheur !

Le destin m’a déjà fait assister à l’assassinat du roi précédent. Si je suis aussi présent à la mort de ce Henri-là, m’est avis que la lieutenante va croire que je porte malheur aux têtes couronnées qu’elle protège. Je serai bon pour le bourreau.

Notre arrivée disperse les derniers Espagnols qui se battaient encore. J’aperçois avec soulagement Henri IV indemne aux côtés d’une Agnès de Loignac crottée de terre qui se relève aussitôt face à moi.

— Le roi doit la vie à votre chien, capitaine.

— Héros ? Où est-il, lieutenante ? 

— Je suis sincèrement navrée, capitaine…

J’aperçois alors un peu plus loin une petite silhouette couchée sur le flanc, immobile. Je cours m’agenouiller pour prendre dans mes bras Héros poisseux de sang qui entrouvre péniblement les yeux. 

— Jamais je n’aurais dû te donner ce nom. Crève pas, clébard. Tiens bon !

Il lève sa gueule déchiquetée vers moi. Sa langue lèche ma main une dernière fois avant de laisser retomber sa tête dans le creux de mon épaule. Héros meurt contre ma poitrine, son sourire toujours accroché à ses bajoues tombantes.

— Ne me fais pas ça, le chien… 

Je me relève avec son cadavre dans les bras. Nous devons repartir derrière nos lignes au plus vite, avant que les canonnades espagnoles ne reprennent. Si la bataille prend fin sur notre victoire, celle-là encore plus que les autres me laisse un goût amer.

Je m’apprête à enterrer Héros avec les autres membres de la compagnie du Chariot tombés ce jour-là quand De Loignac m’apprend que le roi a d’autres projets pour lui. 

— Votre chien aura droit aux honneurs du cimetière de l’église de Traversy. J’ai fait en sorte que vous puissiez venir avec vos seconds, si vous le souhaitez. 

— Merci, lieutenante.

Si le prêtre estime que mettre un chien en terre n’est pas très catholique, il n’en laisse cependant rien paraître pendant l’office. Gueule-en-biais, Crache-misère et moi sommes perdus au milieu des nobles réunis autour d’une simple stèle minuscule sur laquelle on peut lire : 

Ci-gît Héros qui, au péril de sa vie,

sauva celle d’Henri IV, roi de France et de Navarre.

On enterre les héros, la guerre continue. Dès le lendemain, nous retrouvons nos tours de garde et nos coups de pioche. La semaine suivante, le roi ordonne un assaut contre La Fère qui se termine en un nouvel échec. Nos lignes se brisent sur les remparts de la ville, sans même les entamer. 

Henri IV s’absente un moment et les Espagnols en profitent pour retenter une sortie qui se solde cette fois par une brèche dans notre fameuse digue. Les assiégés retournent se réfugier derrière les murs de la ville, satisfaits. Quand le roi revient enfin, c’est pour tomber malade. Il reste alité plusieurs jours pendant lesquels le siège s’enlise encore un peu plus. Comme les caisses royales se vident, Henri IV économise en nous donnant congé pour les deux mois suivants. La plupart des mercenaires du Chariot décident de rester dans les parages. 

Mange-la-boue, Gueule-en-biais, Crache-misère, Tremble-voix et moi descendons à Marseille comme nous le faisons toujours pour passer l’hiver à La Roue de Fortune, l’auberge tenue par notre ancienne capitaine. Grand bien nous en prend : quand nous arrivons, la ville est assiégée, en pleine guerre civile – mais c’est une autre histoire. Le calme revenu, nous passons quelques semaines tranquilles où je trouve enfin le temps de faire une médaille au nom de « Héros » avec un morceau de pierre qu’un de mes gars a ramassé sur le cadavre d’un alchimiste. Elle vient se caler contre mon cœur quand je la passe à mon cou : ce clébard me manque déjà. 

Nous revenons à La Fère au début du printemps pour constater que la digue est enfin achevée. Si elle refoule la rivière de l’Oise vers la ville, l’inondation promise n’a pas lieu. L’eau monte péniblement de trois pieds à peine dans les murs de la cité. Les défenseurs, à peine incommodés, tiennent toujours bon. Le roi décide alors d’affamer les habitants par tous les moyens possibles. Il multiplie la surveillance des murs pour qu’aucune denrée ne rentre dans la ville, mais cette nouvelle stratégie est également un échec. Certains de nos soldats n’hésitent pas à revendre des denrées volées dans nos réserves aux assiégés pour s’enrichir. Le roi garde pourtant bon espoir de faire plier La Fère quand, début avril, il apprend que sa belle ville de Calais est menacée. Il part en urgence protéger la cité, laissant ici son connétable. La première décision de ce dernier est de faire détruire la digue qui, selon lui, sert plus les intérêts des défenseurs que les nôtres. Le mois passe et Henri IV revient finalement sans avoir pu protéger Calais qui est désormais, elle aussi, tombée aux mains des Espagnols. 

Alors que le roi ne sait plus s’il doit poursuivre ou non le siège, le miracle survient. La faim contraint les tercios à entamer des pourparlers. Ainsi, le 16 mai, La Fère capitule enfin.

— Tous ces mois à gratter la terre pour monter un mur qui n’a servi à rien… Quel temps perdu !

— Comme tu dis, Gueule-en-biais… Keuf. Alors qu’il suffisait simplement d’empêcher les tonneaux de vin et de jambons de rentrer en ville. 

— De quoi vous vous plaignez, tous les deux ? Nous sommes vivants et payés. C’est tout ce qui compte. Allez, on lève le camp.

Lady Katherine vient me dire au revoir.

— Ce fut un honneur pour moi et mes soldats de nous battre aux côtés de ceux de la compagnie du Chariot. Et au côté du vôtre, cap’taine N’a-qu’un-œil. 

— Merci. C’était un plaisir d’être à vos côtés, lady Katherine.

Un silence.

— Si jamais vous venez à Londres, n’hésitez pas à passer me voir, cap’taine. 

— Je n’y manquerai pas.

Elle s’éloigne en me saluant encore une fois, chapeau à la main. J’ai la poitrine lourde. Je n’irai jamais en Angleterre. Je ne recroiserai sans doute plus lady Katherine. J’ai l’habitude des adieux amers, mais ceux-là me pèsent aujourd’hui un peu plus que les autres. 

Agnès de Loignac vient me trouver quand nous finissons de démonter nos tentes.

— Au revoir, capitaine. Merci encore pour l’aide que vous avez apportée au roi de France. Elle lui a été précieuse. 

— Merci, lieutenante. Être sous vos ordres est toujours un honneur.

Elle monte en selle, pensive. 

— Le roi vient de signer le traité de Greenwich avec l’Angleterre. Il m’envoie à Londres lever des troupes sur place. 

Je la dévisage, surpris. M’ignorant toujours, elle poursuit :

— Calais est espagnole, maintenant. Aussi, je serais plus rassurée si j’avais un régiment de plus pour faire le chemin avant d’embarquer. Est-ce que la compagnie du Chariot serait disponible pour une mission d’escorte ?

— Elle l’est, lieutenante. 

Elle se tourne enfin vers moi, un sourire au coin des lèvres.

— Alors, vous voilà à nouveau embauchés. Soyez prêts dans une heure.

— Nous le serons. Merci, lieutenante.

Avant de partir, je me rends une dernière fois sur la tombe de mon chien dans le silence apaisant du cimetière. Un portrait de Héros a été dessiné sur la stèle par Tremble-voix. Un drapeau de la compagnie est également planté sur la tombe. Décidément, mes lansquenets ont des cœurs aussi grands que leurs gueules. Une bourrasque glacée vient gonfler la toile où figure notre devise : La roue tourne et le Chariot avec elle.

Je me recueille un instant avant de lâcher : 

— On se ressemble, toi et moi : on est des chiens de guerre. 

J’arrache la médaille gravée à son nom pour l’enfoncer dans la terre. 

— C’est trop tard, mais je tenais à te l’offrir. Elle vient de Marseille – c’était un sacré foutoir là-bas, encore pire qu’ici, tu aurais détesté. Je l’ai faite à partir d’un caillou qu’on a retrouvé sur un macchabée au pied de Notre-Dame de la Garde. C’est de l’Artbon, une pierre magique. Alors qui sait, elle t’aidera peut-être, où que tu sois ? Adieu, clébard. On se recroisera au paradis ou en enfer.

Je remets mon casque et m’apprête à quitter le lieu quand quelque chose dans mon dos attire mon attention. Je me retourne. Rien. J’ai dû rêver. Le vent sans doute.

Bruit de coulisse

Être ou ne pas être… 

… un fantôme ? Telle est la question.

Mon maître ne remarque pas que je suis assis sur la pierre tombale juste en face de lui. Il hausse les épaules et commence à s’en aller. J’aboie une nouvelle fois. Il se fige, puis lève la tête pour écouter attentivement. 

— Héros ?

Il m’entend ! Je suis si heureux ! Je cours vers lui pour lui sauter dans les bras. Je le traverse et retombe sur le sentier couvert de cailloux, mais sans me faire mal : je suis bien un fantôme.

Mon maître, déçu, attend quelques secondes, toujours sans me voir. Il se remet à marcher… et trébuche sur moi.

— Maudit clébard !

Son visage s’illumine soudain et il se met alors à rire sans pouvoir s’arrêter. Je saute autour de lui, les larmes aux yeux. 

— Allez, viens, Héros. L’aventure nous attend.

J’emboîte le pas de mon maître. Peu importe si je suis mort et si je suis un fantôme. J’ai un ami maintenant. 

Mourir… dormir,

Dormir ! peut-être rêver ! Oui, là est l’embarras.

Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort,

Quand nous sommes débarrassés de l’étreinte de cette vie ? 5

1 Roméo et Juliette, acte III, scène II.

214 Richard III, acte V, scène IV.

3 Richard III, acte I, scène I.

4 Roméo et Juliette, acte V, scène III.

5 Hamlet, acte III, scène i.

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