Sorti il y a quelques semaines, Tonnerre après les ruines est un roman post-apocalyptique de Floriane Soulas, qui fait déjà beaucoup parler de lui, de ses héroïnes, de son univers complètement dingue, et de sa radicalité qui tranche avec la production actuelle. Mais c’est dans la nuit que naît la lumière… comme nous l’explique Floriane dans cette interview fracassante !
Floriane, c’est ton quatrième roman. Qu’est-ce qui différencie le plus Tonnerre après les ruines des autres ?
C’est une très bonne question. J’ai tendance à dire que j’aime tous mes romans de manière égale mais tous pour des raisons différentes. Je pense que Tonnerre est celui qui est le plus abouti des quatre, dans le sens où j’ai poussé (essayé du moins) mon propos à fond. C’est un roman dans lequel je me suis autorisée à mettre ce que je voulais vraiment y voir, ce qu’il y a de plus sombre comme de plus beau aussi, dans ma perception de l’humain. Cela voulait dire accepter les parts d’ombre pour trouver l’espoir et je trouve qu’on le ressent particulièrement bien dans Tonnerre. Il faut plonger dans la fange la plus noire pour trouver les éclats d’humanité les plus brillants, même si cela rend le roman difficile à lire parfois. C’est un objectif qui m’a suivi dans l’écriture même de ce roman, durant lequel je suis passée par des moments extrêmement durs (je pense au vol de la 1ere version de ce roman et à plein de choses de ma vie perso), des corrections nécessaires mais éprouvantes pour faire émerger la beauté de cet univers si malsain et dérangeant.
J’ai voulu raconter une histoire qui bouleverse tout en restant universelle. J’avais déjà essayé de faire ça dans Rouille en mettant en scène une héroïne prostituée pour casser les codes, ou dans Les Oubliés de L’amas, avec Kat qui est un personnage atypique, asocial, parfois lunatique mais j’ai vraiment poussé tous les curseurs dans Tonnerre. Si on retrouve deux héroïnes comme souvent chez moi, le duo Férale et Lottie me tient particulièrement à cœur. Il y a beaucoup d’elles en moi et de moi en elles, et elles ne sont pas toujours aimables mais elles ont toujours leurs raisons. Et j’espère que les lecteurs ne m’en voudront pas de les bousculer autant, mais comme j’ai dû sortir de ma zone de confort pour sortir cette histoire, ils vont devoir s’engager sur un chemin tortueux pour rencontrer Tonnerre !
Inversement : qu’est-ce qui rapproche fondamentalement Tonnerre de tes autres écrits ?
Chacun de mes romans parle, d’une manière ou d’une autre, de l’altérité de l’être humain, de la modification du corps et du rapport de nos corps à notre humanité. Que ce soit via les prothèses steampumk de Rouille, la métamorphose dans Les noces de la renarde ou la question de l’intelligence artificielle dans LODA, la question du corps revient sans cesse. Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? Qu’est-ce qui fait que l’on bascule dans la non-humanité ? Où placer le curseur ? Ce sont des questions qui me fascinent. Dans Tonnerre, je l’explore à nouveau en me penchant sur la question du monstre, et plus particulièrement du « bon monstre », celui qui est acceptable, toléré car utile. Mais que se passe-t-il quand le mauvais monstre est terrassé ? Le bon monstre redevient le monstre tout court, l’autre, le mauvais. Alors l’humanité possède-t-elle un curseur variable ? Dépend-t-elle de chacun ? Le peut-elle ? Est-ce acceptable ? Comment définir l’humanité ? À quel moment le corps est-il considéré trop altéré ? Je pourrais y réfléchir pendant des heures et l’écrire toute ma vie sans trouver la réponse.
Tonnerre interroge aussi une de mes propres questions qui se retrouve en filigrane de chacun de mes romans : la famille et les origines. La quête de Violante dans Rouille ou celle de Mina dans Les noces de la renarde questionnaient déjà ce sujet. Qu’est-ce que la famille ? Le sang ou les liens ? Comprendre d’où l’on vient pour mieux l’accepter ou le rejeter et se construire. Le mécanisme de construction de la famille, choisie ou non, et les impacts qu’elle a sur nous en tant que personne, individualité, me fascinent. Des humains, qui a priori non rien en commun, pas de sang, pas de parents, vont se choisir, être loyaux et s’aimer alors que rien ne les prédestinait à se rencontrer. C’est un magnifique mystère que j’essaie de décrypter 🙂
Tu as dans Tonnerre deux personnages féminins très différents mais aussi très proches, Lottie et Férale. Leurs interactions sont riches, intenses, subtiles, parfois houleuses, souvent émouvantes. Tu ressors comment de ce genre d’écriture de personnage ? Car on imagine que c’est une sacrée gymnastique mentale…
Comme je le disais plus haut, il y a beaucoup de moi dans Férale et Lottie. Ce sont deux personnages que je portais en moi depuis 5 ans, à l’époque où j’avais commencé à écrire cette histoire. Après la disparition de mon 1er jet, j’ai fait une pause et écrit Les oubliés de l’Amas, mais elles restaient toujours dans un coin de mon esprit. Quand j’ai finalement décidé de reprendre le projet, j’ai fait table rase de tout ce que j’avais écrit, des anciennes versions que j’avais sauvegardées, de la géographie, de l’histoire initiale pour repartir d’une feuille blanche. Je n’ai rien gardé, sauf Férale et Lottie.
Tous mes personnages s’imposent assez facilement à moi, mais elles plus encore que tous les autres. Férale était une évidence, comme a pu l’être Violante à l’époque. Lottie a demandé que j’aille creuser un peu plus, il a fallu aller chercher au fond de moi des choses désagréables, autour desquelles je tournais depuis un moment sans oser les confronter. Heureusement, Férale était là pour compenser le caractère compliqué de Lottie. Et ensemble, elles fonctionnent bien, car elles sont indissociables selon moi, presque comme les deux faces d’une même pièce : Férale lumineuse et Lottie plus sombre mais avec le même amour pour l’autre.
Au final, ce sont les corrections qui ont été les plus difficiles. Quand il a fallu pousser Lottie dans ses retranchements tout en la rendant, si ce n’est sympathique, au moins accessible au lecteur. Il est difficile d’aimer un personnage aussi désespéré, aussi abîmé par la vie, mais on peut le comprendre et c’est ce qui la rend touchante malgré tout. Parce que malgré toute sa haine et sa rancœur, elle aime.
La science, ses avancées autant que ses régressions, est au coeur de Tonnerre. Que représente-t-elle pour toi dans tes écrits ? C’est une voie naturelle ?
Ah la science. C’est effectivement une voie naturelle. En tout cas, je l’emprunte naturellement sans y penser. Mais en tant qu’ingénieure c’est forcément une appétence que je vais avoir. Aujourd’hui, on ne prête presque plus attention à la science, tellement elle fait partie de notre quotidien dans absolument tout. On oublie qu’il y a à peine cent-vingts ans, les avions n’existaient pas. Les gens s’extasient (à raison) sur les décollages de fusée en oubliant que chaque avion qui décolle du sol est un petit miracle répété chaque jour partout dans le monde.
La science et la technologie ont drastiquement changé nos vies, bouleversé tous nos paradigmes. Elles ont modifié nos corps, notre pensée, nos relations, on ne peut plus envisager l’humanité sans les prendre en compte, tellement leur impact sur nos vies est fondamental. Il est pour moi absolument impensable de parler de l’humain sans l’inclure dans l’équation. C’est un vecteur de changement trop primordial et intéressant. Et il y a tant de choses qui étaient vues comme de la SF qui font aujourd’hui partie de notre quotidien. Comme la méta-humanité, on en revient toujours au corps. Pendant longtemps cela a été un fantasme de SF mais nous sommes déjà en plein dedans et c’est passionnant, tant cela soulève de questions sur l’éthique, l’altérité, la morale. Je suis particulièrement intéressée par cette question de la morale fluctuante, du « jusqu’où sommes nous prêts à aller pour prouver que nous, l’humanité, sommes capables ? ». J’ai encore de quoi me questionner et écrire pendant longtemps !
Si tu devais t’adresser à celles et ceux qui ne t’ont jamais lue mais que Tonnerre après les ruines attire, que leur dirais-tu ?
Je leur dirais « n’ayez pas peur, le voyage ne sera pas toujours agréable mais il en vaut la peine ».
Je sais que le post-apo a mauvaise presse et que la tendance est plutôt aux lectures cosy et réconfortantes car notre monde va mal, vraiment mal. mais, je pense, et je suis même intimement persuadée, que le post-apo est fondamentalement la littérature de l’espoir, plus qu’aucun autre genre. C’est le genre qui vous dit « regardez, rien ne va, absolument rien ne va et les monstres rôdent et pourtant, envers et contre tous les pronostics, les humains vont trouver des solutions et faire preuve d’entraide et de gestes désintéressés. Même dans les pires situations (ou à cause d’elles), nous sommes capables du meilleur ». Et si cela ne donne pas espoir, alors c’est qu’il n’y en a plus. Alors, oui, c’est sale et difficile mais la vie trouve toujours un chemin.
2 comments on "Floriane Soulas : “C’est sale et difficile mais la vie trouve toujours un chemin.”"
Magnifique interview, touchante, qui dessine l’autrice à la perfection.