Impau(s)teur, par Frank Scaldeyr

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Nous avions promis de vous laisser la parole sur notre blog, sans jugements… Aujourd’hui, l’écrivain Frank Scaldeyr. Il répond aux articles de Camille Leboulanger sur les droits des auteurs.

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Le syndrome de l’imposteur. J’écris, je me considère personnellement comme auteur, mais suis-je vraiment légitime ? Je lis et le doute s’intensifie. Tant d’auteurs et d’autrices formidables me dépassent d’un point de vue littéraire. Alors, à quoi bon s’obstiner s’il existe déjà mieux ? Mais en fait, mieux, qu’est-ce que ça veut dire ? Et puis d’abord, c’est quoi être auteur ou autrice ?

Les billets de Camille Leboulanger ici même sur le site d’Argyll ont éveillé en moi des interrogations quant au statut d’auteurice. La question du fonctionnement de la rémunération et ses conséquences ont déjà été intelligemment traitées. Mais des questions me restent en travers de la gorge.

Qu’est-ce qu’être auteur ou autrice ? Et à partir du moment où une rémunération est évoquée, le statut d’auteurice se définit forcément à travers le regard des autres, mais qui décide ?

Prenons un exemple concret, au hasard le mien (on va supposer que c’est celui que je connais le mieux). Je me considère personnellement comme un auteur. J’écris depuis presque 18 ans des romans, des poèmes, des nouvelles et des novellas. Et je ne le fais pas en dilettante, je me lève à 5 h le matin, j’écris deux heures et je vais ensuite travailler pour une société (forcément, hein, qui vit de l’écriture ?). Le soir, je repense à mon écriture, la nuit je me réveille en m’interrogeant sur mes fils narratifs, aux feux rouges mes personnages s’engueulent, etc. 

En matière de quantité de travail, je suis auteur et je mérite sans conteste une rémunération. Pourtant, financièrement, je ne gagne rien à écrire. En société, si je dis que j’écris, la question est immédiatement : publié ? La réponse étant non, le regard de l’interlocuteur signifie : « ouais, c’est une passion, c’est bien, retourne gribouiller, c’est quoi ton vrai métier ? ». D’ailleurs, peut-être que ma production n’est que gribouillages ?

Le constat est peut-être amer, mais aujourd’hui pour être considéré par les autres comme auteurice, la publication est nécessaire ; par une maison d’édition ou en auto-édition. Et c’est encore heureux ! Car l’écriture est un métier, ce n’est pas donné à n’importe qui. Ce n’est pas parce que vous suez sang et eau que vos textes sont bons. Bien que, pour qu’ils soient bons, il faut cravacher.

Quoi ? On ralentit le rythme, on respire et on continue.

Prenons un nouvel exemple, celui d’un métier qui ne nécessite pas de diplôme (comme celui d’auteurice) celui d’agent immobilier. N’importe qui peut être agent. Soit vous exercez en indépendant (auto-édition) et il vous faut prouver que vous êtes doué, que vous avez les capacités, investir du temps et de l’énergie pour finir par vendre des biens immobiliers. Et après un certain nombre de ventes et de preuves obtenues dans la douleur, vous serez considérés comme agent immobilier. Ou alors, vous vous faites recruter par une agence, mais là, même constat : il va falloir apporter des preuves de votre « talent » (soumissions de manuscrits à des maisons d’édition).

Dans toutes les professions, il faut justifier de compétences. Et dans toutes les professions, il y a des passe-droits, des facilités pour certains qui connaissaient Untel qui connaît Machin. Il est illusoire de croire que ce monde fonctionne au mérite. Ce ne sont pas toujours les meilleurs qui sont publiés et il ne suffit pas de travailler pour réussir. Mais il faut bien que des gens choisissent. Mon patron a choisi de m’embaucher alors qu’il aurait pu prendre quelqu’un d’autre (peut-être meilleur). Tous les métiers sont soumis à ces injustices, pourquoi la littérature en serait-elle exempte, sous prétexte que c’est de l’art ?

De fait, nous sommes tous des imposteurs. Il ne nous reste qu’à nous entredéchirer pour écraser les autres et tirer son épingle du jeu (non). Car je vais vous révéler un secret : piétiner les autres ne vous servira à rien. Au mieux, vous y aurez pris un plaisir aigre. Au pire, tout le monde verra que vous êtes un connard. L’humain est un animal égoïste et solidaire, il faut compter là-dessus et tenter sa chance, en se donnant les moyens de réussir grâce aux autres ; en les aidant et étant aidé par elleux. Rien ne peut se faire seul, pas même l’écriture. Un auteur n’existe que parce qu’il a des lecteurs (vos amis, vos enfants, ou un public plus large) !

Je voudrais finir sur des paroles pleines d’espoir (non). Avec le mode de sélection des livres tel qu’il existe aujourd’hui, des milliers d’œuvres géniales ont disparu, des beautés indicibles se sont perdues dans des greniers et tout un tas de merdes infâmes a fleuri sur les étals des libraires. Et au milieu d’une surproduction qui s’alimente elle-même, parfois, un ou deux joyaux jaillissent.

En réalité, la mondialisation et l’économie de marché telle qu’elle existe aujourd’hui nous donnent l’illusion que la réussite passe par le succès global. C’est je crois un aveu d’échec, un supplice de Sisyphe. Depuis la nuit des temps, l’humain œuvre pour l’autre humain à côté de lui. Il serait bon de retrouver la sagesse des millénaires et revenir à des choses plus locales, plus intimes, à un partage plus équitable.

Quoi qu’il en soit, continuez de prendre plaisir à écrire, auteurices reconnu·e·s ou non. Écrire est la promesse du bonheur, et c’est une prophétie auto-réalisatrice. L’acte d’écrire porte en lui le carburant qui fera briller ses flammes. Vous êtes peut-être un étron ou un bijou, mais en vérité on s’en fout, car à la fin il ne restera rien. Alors le plaisir et la joie que vous aurez pu saisir au vol grâce à l’écriture, c’est tout ce qui compte. Écrivez, pour vous-même, pour vos proches, pour tout le monde, par envie, par catharsis, par besoin, qu’importe. Mais écrivez si cela vous fait vous sentir vivant.

Soyez auteurices !

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