Pour la sortie de La Cité diaphane en librairie, nous vous proposons une interview d’Anouck Faure, qui revient sur son parcours et sur la genèse de son roman.
Bonjour Anouck. Peux-tu nous raconter comment tu en es venue à l’écriture ?
Ça ne va pas être très original, mais j’écris depuis à peu près aussi longtemps que je dessine, donc depuis l’enfance. Écrire était un moyen pour moi de m’immerger dans mes rêveries et mes mondes intérieurs, une tendance qui ne m’a jamais quittée en grandissant (et heureusement). À l’adolescence, j’ai aussi été adepte du jeu de rôle textuel où l’on construit une histoire à plusieurs en incarnant chacun un personnage, et ce sont de chouettes souvenirs de création collective en plus de belles rencontres. Je continuais à écrire mes propres histoires, mais dans mon coin. Puis vers la vingtaine j’ai commencé à vouloir partager mon imaginaire, et par conséquent, faire aboutir mes textes. J’ai alors bénéficié grâce à internet de tout un réseau de personnes qui comme moi aspiraient à donner vie à leurs histoires, d’abord avec le forum Cocyclics puis à travers des rencontres, des salons, et des liens plus personnels en ont découlé. Grâce à ces échanges, j’ai trouvé d’une part une émulation qui m’a encouragée à persévérer, d’autre part des retours critiques qui m’ont permis de progresser, d’apprivoiser mon écriture, de remettre en question mes textes. Ce petit cercle littéraire d’échange et d’entraide a incontestablement été un moteur très précieux, et continue de l’être.
La Cité diaphane est ton premier roman publié. Comment t’es venue l’idée de Roche-Étoile et de l’histoire qu’elle abrite ?
À l’automne 2018, j’étais en résidence artistique en Auvergne et je logeais dans un chalet isolé dans les bois, il faisait froid et nuit. Je venais de terminer le premier jet d’un très gros projet et j’avais envie de faire une petite pause avec un texte court, une novella de 150 000 signes, pas plus (vous me voyez venir…). C’était alors déjà la grande mode des licornes arc-en-ciel et pailletées, et je me souviens m’être fait la réflexion que les licornes, c’est quand même un animal plutôt classe à l’origine, avec un potentiel meurtrier non négligeable. Il suffit d’avoir fréquenté quelques chevaux et constaté la puissance brute qu’ils dégagent pour le savoir, et eux n’ont même pas de corne. Je ne sais pas trop pourquoi, cette pensée, combinée à mon envie de novella, combinée au fait que j’étais alors au paroxysme de ma fascination pour les jeux Dark Souls avec le troisième opus, s’est vite transformée en une vague idée de cité maudite et de licorne glauque suintant du poison. Il ne m’en a pas fallu beaucoup plus pour me lancer, tout le reste est venu de façon organique au fur et à mesure du premier jet. La rencontre de la roche et de l’eau, deux éléments étroitement entremêlés à Roche-Étoile, constitue du reste une inspiration sous-jacente dans tout mon travail artistique. Le nom Roche-Étoile vient de Saint-Amant-Roche-Savine, un village d’Auvergne non loin duquel j’ai quelques souvenirs de brume et de forêts givrées enchanteresses. En soi, Roche-Étoile est donc un agrégat d’atmosphères et de thématiques qui me sont chères, mais j’avoue que je me pose un peu plus de question sur l’origine des personnages qui la peuplent…
Bref, au final la petite novella a pris plus d’ampleur que prévu, j’ai travaillé à peu près quatre ans sur les différentes versions de La Cité diaphane, parce que c’est bien beau d’écrire au gré des idées, mais il faut ensuite pas mal de travail pour solidifier tout ça. Si jamais vous vous demandez où en est le projet qui a été sauvagement interrompu par cette « petite pause », il est toujours en construction et risque de l’être pour encore un moment…
As-tu lu les classiques de la fantasy ? On pense parfois à Miéville ou Leiber quand on lit ton roman. Quelles sont tes références ?
Pour le coup je n’ai lu aucun des deux, même si j’entends bien corriger cela ! J’ai lu pas mal de classiques de la fantasy, notamment à l’adolescence où j’ai découvert bien sûr Tolkien, mais aussi Robin Hobb (Les aventuriers de la mer !), Guy Gavriel Kay, ou encore La Roue du Temps qui est une œuvre qui m’a accompagnée très longtemps (forcément) et avec laquelle je garde un lien affectif, en tant qu’administratrice du site La Pierre de Tear, même si ce n’est plus trop le genre de lectures vers lequel je tends aujourd’hui. Une de mes vraies grosses claques de jeunesse, malgré des romans très inégaux, ça a été la série Ténébreuse, surtout le cycle de Régis Hastur, pour ses personnages hors-normes et son univers si captivant. Avec le temps mes lectures ont fini par s’orienter de plus en plus vers la science-fiction avec des œuvres comme Solaris mais surtout Hypérion de Dan Simmons, qui m’a énormément marquée. Je dirais que les œuvres d’imaginaire qui désormais m’inspirent et me parlent en tant que lectrice allient une bonne dose de sense of wonder, des aspects culturels et sociaux développés et une plume ayant du caractère (pas forcément les trois ensemble, pas forcément dans cet ordre, mais c’est l’idée). J’aime lire des sociétés aux coutumes et aux codes intrigants, reposant sur des repères culturels qui nous sont étrangers, les récits où les conflits naissent de rencontres entre des conceptions du monde radicalement différentes, et l’imaginaire offre une infinité de possibilités dans ce domaine, aussi bien en fantasy qu’en science-fiction. Je pourrais encore citer Ursula Le Guin, Samuel R. Delany, Angélica Gorodischer avec le magnifique Kalpa Impérial. Dans un registre plus récent, N.K. Jemisin, le sublime Un étranger en Olondre de Sofia Samatar, la plume envoûtante de luvan, la subtilité de Claire Duvivier, les riches univers d’Estelle Faye, le pouvoir d’évocation d’Émilie Querbalec… Et j’en oublie trop, car j’aime beaucoup ce qui se passe en imaginaire actuellement et toutes les directions que prennent nos littératures, avec des autrices et auteurs aux profils et aux préoccupations de plus en plus divers, qui enrichissent d’autant les univers où nous voyageons.
Tu es également illustratrice. Tu travailles notamment la gravure, comme le prouvent les illustrations intérieures du roman. Comment tes talents picturaux et scripturaux se nourrissent-ils entre eux ?
Les deux évoluent de concert depuis toujours et s’entremêlent forcément, pas de la façon la plus évidente cependant. J’y développe des intérêts similaires, je pense notamment à tout ce qui relève des pratiques sacrées, des cosmogonies, et aussi le rapport à la nature qui y est dans les deux cas foisonnante, vivante, puissante, parfois aussi menaçante, et surtout un espace sacré par excellence, à l’image de la nature d’Océanie, dont je suis originaire et qui est une source d’inspiration majeure pour moi tant à l’écrit qu’en dessin.
Assez naturellement, étant passionnée de littératures de l’imaginaire, je me suis retrouvée à illustrer dans ce domaine, pour mon plus grand plaisir, mais il m’a fallu beaucoup de temps pour franchir le cap de m’illustrer moi-même et de faire émerger des projets alliant images et textes (ce qui a finalement commencé à se produire seulement l’année dernière, avec un livre d’art et un album jeunesse). En illustration, j’aime explorer des registres extrêmement différents, ne pas me poser de limites, et mes projets personnels deviennent le support de jeux stylistiques. Dans mon album jeunesse, Les éléphants sans pattes, je m’essaie à un style très épuré, au numérique, tandis que pour les gravures de La Cité diaphane, il y a vraiment une recherche de faire écho aux littératures gothiques, au merveilleux du 19e siècle dont s’inspire indéniablement le texte, en poussant ce style plus loin que je ne le fais d’ordinaire dans ma pratique gravée.
Qu’envisages-tu pour la suite ? Toujours de la fantasy ?
J’ai plusieurs projets à divers stades d’avancement, et il s’agit en effet pour majorité de fantasy, qui semble être le registre vers lequel mon inspiration tend le plus naturellement. Cependant, celui sur lequel je vais me consacrer en priorité dans les prochains mois relèverait plutôt de la science-fiction et du space-opera (disons, du planet-opera). On est cependant loin de la hard science-fiction ou des grands voyages en vaisseau à travers la galaxie, mais plutôt dans une science-fiction organique, océanique et minérale, un monde instable où les contraintes de survie bâtissent des sociétés aux normes bien particulières, avec une question centrale : l’empathie et la compréhension inter espèces. Quand j’y pense, l’instabilité et l’insularité semblent être des éléments récurrents des différents univers qui me trottent dans la tête, mais je n’en dirai pas plus pour le moment…
Attention, question difficile pour finir. Que dirais-tu aux lecteurs pour les convaincre de lire La Cité diaphane ?
C’est effectivement une question difficile… Je dirais donc que les réponses données ci-dessous reflètent plutôt bien les univers, les questions, les atmosphères qui m’habitent. Alors si ceux-ci vous parlent, que vous avez une sensibilité pour un certain onirisme sombre, les personnages aux motivations torturées et aux émotions démesurées, les licornes maudites ou les voûtes sur croisée d’ogives, vous pourriez peut-être y jeter un œil… J’espère en tout cas vous retrouver bientôt sur les chemins sinueux de Roche-Étoile !
interview, Argyll 2023.