La Cité diaphane : découvrez le premier chapitre !

La Cité diaphane, un grand roman d'Anouck Faure">

Chapitre 1

Une apparition

Bien, je n’ai guère de temps à perdre en lettrines et en arabesques. J’espère donc que vous me pardonnerez ma graphie rudimentaire. Voyez-vous, si j’ai appris à utiliser ma main gauche d’une façon plus que convenable depuis que la droite me fait défaut, le maniement de la plume n’en reste pas moins laborieux. Dans le cas présent, la difficulté vient surtout des tremblements liés à ma mort imminente. Après tout, j’ai assuré pendant sept ans le rôle d’archiviste du seigneur des Marches sans que mon écriture constitue une entrave. La mort, donc. Mais avant d’en arriver là, il me faut vous conter les événements qui conduisirent à ce triste fait. Ma princesse l’a exigé. Je tiendrai parole, cette fois-ci au moins, bien que son ultime requête ne soit que la dernière de mes motivations.

La Cité diaphane, un grand roman d'Anouck Faure
La Cité diaphane, un grand roman d’Anouck Faure

Permettez-moi donc de vous narrer la cité de Roche-Étoile, sa déchéance, sa malédiction et ses âmes égarées. Je m’offre en outre la fantaisie, à quelques incartades près, de raconter ces derniers jours tels que je les vécus, c’est-à-dire dans l’ignorance la plus totale des ressorts qui se jouaient. En arrivant ici, je n’étais guère qu’une ombre guidée par des puissances qui la dépassaient, inconsciente des réalités qui la menèrent à se confronter aux horreurs de Roche-Étoile. Mes raisons passées vous paraîtront peut-être faibles, ma solitude douteuse. Elles l’étaient en effet. Je vous prie donc de bien vouloir tolérer pour quelque temps la chose falote et sans consistance qui me tenait alors lieu de personne. La vérité nous frappera bien assez tôt, vous et moi.

Commençons ainsi. Une brume tombait avec la nuit sous l’ombre des bouleaux. Je ne voyais plus aucun chemin. Je croyais avoir tout planifié pour arriver avant le soir, mais l’effroyable vigueur des racines et des ronces contrariait mes prévisions. Sept années leur avaient suffi pour engloutir jusqu’au dernier sentier de pierre. Nulle route ne conduisait plus à Roche-Étoile. J’avançais au hasard depuis ce qui semblait des heures, avec pour seule lumière une lanterne et l’éclat mourant du ciel.

Les buissons acérés se refermaient un peu plus autour de moi à chaque pas. Je commençais à craindre que mon errance ne dure encore longtemps et ne se solde par de cruelles éraflures, sans parler des bêtes qui pourraient rôder à la nuit tombée. Je m’arrêtai et tentai de distinguer le moindre indice sur la direction à suivre. Si je me fiais aux cartes, le bois aux Astres marquait les abords directs de la cité. Je ne me trouvais plus très loin. Je devais pouvoir apercevoir une tour, un reflet sur l’eau, n’importe quoi avant que le brouillard n’avale tout ! C’est alors que je la vis. Une apparition aussi puissante que fugace.

Je crus d’abord qu’il s’agissait d’un voyageur à cheval. Peut-être un autre fou se perdait-il en ce territoire maudit, à la recherche de Roche-Étoile. Mais il n’y avait pas de cavalier. Le grand destrier me fixait de ses yeux d’opale. Son corps massif se détachait à peine sur les ténèbres embrumées. Mes membres se pétrifièrent. Au milieu des craquements de vieille écorce, j’entendais une respiration rauque de bête. D’une main tremblante, j’élevai ma lanterne pour mieux voir la chose.

Une chouette s’envola, affolée par la soudaine lueur. Sa robe de fantôme lacéra la pénombre. Je sursautai et reculai d’un pas. Le cheval noir se perdit alors dans la nuit. Juste avant qu’il ne disparaisse, je vis la corne. Une longue épine d’acier brillant surgissait du front de l’animal. Une dangereuse merveille que ma lâcheté d’alors ne me permit guère d’apprécier.

Dans un élan de panique, je me détournai et courus, oubliant les ronces qui s’accrochaient à mes vêtements. J’entendis un hululement au loin et je me précipitai à sa suite sans réfléchir. La silhouette du rapace m’apparut, reflétée par une étendue d’eau. Le lac ! J’écartai branches et feuillages de mon bras valide, courus à l’aveuglette. Je me trouvai soudain libre des griffes de la forêt.

J’arrachai mon manteau aux épines et laissai la pente me guider jusqu’aux berges. Une licorne. Le mot martelait mes tempes entre deux halètements. Une licorne noire. Avais-je bien vu, ou n’était-ce qu’une illusion née de l’obscurité ? Je tournai sur moi-même dans un mouvement d’affolement, comme si la bête allait surgir de nouveau, mais ce fut tout autre chose qui retint mon regard.

L’île maudite se dévoilait enfin, nimbée d’une pâleur diffuse malgré l’absence de lune. J’en oubliai un instant l’apparition crépusculaire. J’avais atteint ma destination. Roche-Étoile se tenait là, élancée vers les cieux, jaillie des profondeurs.

Ses parois abruptes s’arrachaient de la surface du lac en forme de demi-lune. Et la falaise devenait cité, dentelle de basalte, flèches aériennes menaçant les nuées, allées d’arcades marmoréennes. L’on n’aurait su dire où commençait le travail de la main de l’homme, où finissait celui de la terre. Sans nul doute ses créateurs espéraient donner l’illusion que Roche-Étoile avait surgi tout entière des feux chthoniens qui avaient forgé son promontoire. À cet instant, je songeai qu’il fallait être animé d’une foi inébranlable pour bâtir ici ces monuments démesurés, à l’orée des terres des démons et de leurs noires magies, loin des royaumes humains. Désormais, l’orgueil et la folie me paraissent une bien meilleure explication. Mais enfin, chacun sait que les Rochestéliens ne manquèrent jamais de foi. Ils voyaient des manifestations de leur déesse sans visage dans chaque recoin. À la fin, cela ne les sauva pas.

Mon moi d’alors pensa à nouveau à la licorne noire, à sa respiration de bête fauve. Tandis que j’observais cette cité réduite à l’état de nécropole, je me persuadai soudain que je n’avais pas pu rêver. La cause de la mort de Roche-Étoile était connue : sept ans auparavant, du jour au lendemain, les eaux du lac et des puits s’étaient changées en un poison mortel pour tous les habitants de la cité. Cependant, l’on ignorait la cause de la malédiction. Il s’avérait aisé même pour un esprit étriqué comme le mien d’imaginer que les voisins démoniaques de Roche-Étoile n’y étaient pas étrangers, bien que plus personne ne les ait aperçus dans les parages depuis des lustres. Avais-je croisé une de leurs créatures monstrueuses ? Peut-être même la responsable de la chute de la cité. Mon cœur se glaça à cette pensée. Et les soldats des Marches qui affirmaient que l’on ne courait aucun danger tant que l’on ne touchait pas à l’eau… Aucun des récits que j’avais lus ne mentionnait cette chose. Enfin, j’étais là désormais, en vie et sans autre dommage que quelques égratignures. Je ne pouvais que poursuivre ma route.

En m’approchant, je distinguai les piliers brisés d’anciens ponts qui émergeaient du lac. Par miracle, il en demeurait un qui n’avait pas été détruit. Une longue fracture en traversait la chaussée, n’attendant que de s’ouvrir sous les pas de l’imprudent qui voudrait rejoindre l’île. Et, au sommet des lacets qui menaient à la ville, non loin de l’imposante porte fortifiée, une lumière pulsait à une fenêtre découpée dans les remparts. Une existence subsistait donc ici, envers et contre tout. Cela non plus, les soldats des Marches n’en avaient pas parlé, mais ils avaient après tout cessé de venir ici depuis des années. Leurs rondes à la frontière avaient pour seul but de repousser les curieux et les pilleurs et de faire respecter l’interdit posé par le seigneur des Marches sur le lac empoisonné. Plus aucun voyageur ne s’aventurait dans cette région désolée. Elle ne menait qu’aux terres démoniaques. Mais il avait bien fallu quelqu’un pour allumer cette flamme au loin.

À pas prudents, je repris ma route et longeai les rives en direction du pont. Elles m’apparaissaient instables, et je me défiais des boues qu’elles charriaient. Les rares téméraires qui avaient tenté de rallier la ville, lorsque celle-ci n’avait brusquement plus donné signe de vie, avaient tous averti que quiconque se hasarderait à boire ou même toucher ces eaux noires mourrait aussitôt. J’avais ainsi imaginé découvrir un désert minéral, vierge de toute vie. Or, la forêt paraissait intacte. Une végétation malsaine envahissait les berges. Seuls manquaient les animaux. Nul oiseau ne semblait avoir établi sa demeure dans ces roseaux, nul insecte nocturne. Aucun frisson n’accompagnait ma marche, nulle fuite, nul cri devant la lueur incongrue que je portais dans la pénombre. Les sept années qui s’étaient écoulées depuis le drame n’avaient pas suffi à laver la souillure des eaux mortifères.

J’évitai les bourbiers détrempés et mis enfin pied sur les pierres sèches et lisses du pont. Celui-ci ne s’écroula pas, déjouant agréablement mes craintes. Les murmures de la forêt avaient reculé, mais une autre pulsation se mêlait aux claquements visqueux de mes bottes à mesure que j’approchais de l’île. Provenant de la fragile clarté qui émanait de la cité, le martèlement vif de l’acier contre une enclume emplissait le ciel.

L’ascension vers Roche-Étoile me parut bien longue, rythmée par ce battement dont les montagnes me renvoyaient l’écho. Des images naissaient en moi, tirées de mon imagination fertile d’archiviste pour qui les poncifs des récits de voyage n’avaient plus aucun secret. Des siècles de témoignages de pèlerins venus visiter les sanctuaires de la déesse sans visage faisaient état de la magnificence de Roche-Étoile, d’autant plus éclatante qu’elle défiait les terres d’ombres et de mort. Je pouvais presque distinguer les marchands d’autrefois, dont l’arrivée s’accompagnait du froissement des bannières, des voix chantantes des pâles gens de ce domaine de l’hiver, curieux des couleurs d’autres contrées. Je me représentais sans mal les gardes fiers, les enfants indolents qui se prélassaient sur ces petits bancs taillés dans la roche et escortaient les nouveaux venus de leurs questions et de leurs commentaires.

Mais il n’y avait plus de bannières ni de pèlerins, et rien à la vérité pour me détourner du lancinement de mes mollets déjà éprouvés sinon mes propres élucubrations. J’avais beau être jeune, l’exercice n’était pas mon fort, et le voyage s’était avéré pénible. Je m’assis une ou deux fois sur le bord du chemin. Le heurt fastidieux du métal sur l’enclume me martelait le crâne. À présent que j’étais proche, je voyais qu’une petite cheminée surplombait l’unique fenêtre allumée. Elle crachait les étincelles et les fumées typiques du travail de la forge. Que pouvait-on bien créer dans cette forteresse désolée, à quelle fin ?

Et moi, au fond, quelle folie me menait en cette région peuplée d’étrangetés ? Une réponse implacable, susurrée du fond de mon esprit, me sauta aussitôt au visage et chassa toute introspection. Mon rôle n’avait-il pas toujours été le même ? Rassembler les vestiges du passé, exhumer la vérité des archives et des lettres perdues. Mettre en mots le destin tragique de la cité pour la postérité, creuser au-delà des quelques rumeurs datées. Du reste, même la pauvre chose que j’étais alors se doutait bien que le seigneur des Marches ne m’envoyait pas ici uniquement pour assurer la complétude de ses livres d’histoire. Il devait craindre que le mal ne se réveille un beau jour et ne se propage sur ses terres, et toute information était bonne à prendre. Quant à moi, les véritables raisons qui m’avaient fait accepter cette mission solitaire m’échappaient alors tout à fait. Je me persuadai qu’il s’agissait de curiosité intellectuelle. Ou l’or, peut-être ? Peu importe ce que je me racontai pour combler mes vides. Je n’étais qu’un pantin venu arracher leurs secrets aux cadavres de Roche-Étoile, guidé par un but qui ne lui appartenait pas. Sans doute finis-je par conclure que ces ruminations m’étaient inspirées par ce lieu. Je me remis en marche et m’efforçai d’écraser mes hésitations à chaque nouveau pas. À tout le moins, dans ma quête de vérité, la licorne noire représentait un premier indice d’un intérêt sinistre.

Un froid vif me mordait. La nuit tissait déjà un fin voile de givre sur les pierres du chemin. Du lac en contrebas, une brume se soulevait et dissimulait pour un temps la menace des eaux. J’atteignis enfin les portes fortifiées. La herse abaissée en barrait l’accès, mais, à gauche, un pont jeté au-dessus du vide menait à une poterne étroite. La passerelle se couvrait elle aussi de verglas. Je m’y engageai, rajustai mon paquetage sur mon épaule, pressai contre moi ma main inerte, qui ne ferait que me déséquilibrer. Un crissement plaintif accompagna mes pas. Je n’eus pas le temps de penser au vide. Je passai. Les murailles de la barbacane m’isolèrent un instant de l’air cristallisé.

Le martèlement s’était arrêté. Je pris conscience du calme soudain et me figeai à l’orée d’une petite cour bordée de hauts murs, à l’écoute. Rien. Nulle alerte ne retentissait. Aucun son ne suggérait que l’on avait remarqué ma présence, ou tout du moins que l’on s’y intéressait. Le silence n’était qu’une chape de plomb tissée de brume et de plaintes venteuses. Derrière la porte massive, les rues de Roche-Étoile se déployaient en rayons blafards. C’était un squelette de ville, pensai-je. Une enfilade d’arcades blanches dessinaient une cage thoracique serpentine au-dessus de l’avenue centrale de la cité. Elle traçait un chemin jusqu’aux tours efflanquées du sanctuaire de la déesse sans visage, jadis célèbre dans toutes les Marches. À mes yeux naïfs mais pas totalement idiots, ces colonnades prenaient allure de procession funèbre.

Juste à ma gauche, d’anciennes échoppes aux portes closes se nimbaient d’un éclat fauve provenant d’une ruelle voisine. Ce devait être la flamme déclinante que j’avais aperçue depuis la rive. Je m’y dirigeai, délaissant la grande allée et ses ombres. Une réaction primaire pour un être primaire. Dans la nuit, les humains comme les insectes cherchent un souvenir de soleil dans l’éclat du feu.

J’entendis d’abord les bruits d’un cheval, le claquement sec des sabots sur le pavé, l’haleine rauque qui s’échappait des naseaux en signe d’impatience. Un frisson courut le long de mon dos tandis que je me rappelais un souffle similaire. Puis je tournai à l’angle de la poterne, et l’animal m’apparut. Un cheval bien vivant, gris de cendres, sans rien de comparable avec la noire créature entrevue dans le bois. Il fumait d’une vigueur incongrue dans ce domaine de mort. Le soulagement m’étourdit. Sans réfléchir, j’avançai vers la bête. Je ne distinguai qu’alors la silhouette courbée contre ses jambes, puis le bref éclat du fer encore rouge. Une odeur de corne calcinée se mêla au parfum fauve du destrier qui secoua sa belle encolure nerveuse. Mon élan soudain suspendu, j’arrêtai mon pas, reculai. Le maréchal-ferrant releva alors son visage vers moi.

— Le bonsoir, fis-je.

Cela parut suffire. J’avais le souffle court, sans vraiment de raison. L’homme revint à sa tâche. Visiblement, il se moquait bien de ce que je pouvais faire là. Je n’étais qu’une distraction superflue dans son travail ô combien essentiel. Un doux martèlement accompagnait la pose du fer. J’imaginai le forgeron installer les rivets dans l’ongle de l’animal. Ses mains me paraissaient larges et calleuses, ses épaules grasses et puissantes. Mais la lumière de la forge était presque étouffée, et ma lanterne ne suffisait plus à percer l’épaisseur sourde de la nuit. Je distinguai l’éclat bref d’un œil lorsque l’homme me scruta à nouveau.

— Vous avez une monture à ferrer ? demanda-t-il.

Sa voix glissait sur la brume avec un calme dédaigneux. C’était, me dis-je, la question la plus naturelle du monde dans cette cité défunte. La plus adéquate.

— Non.

— Ah, s’étonna-t-il. Vous ressemblez à quelqu’un qui possède une monture.

J’opinai du chef, comme pour approuver ce jugement. Il n’insista pas, relâcha la jambe du destrier, redressa avec lenteur son dos courbé. Il attendit. Quelque chose, dans son mutisme, demeurait en suspens comme une question. Il me fallait y répondre.

— Dans le bois aux Astres, dis-je enfin. Dans le bois aux Astres, j’ai vu une licorne noire.

Je ne me demandai même pas ce qui me poussa à lui faire un tel aveu. N’ai-je pas déjà dit que j’étais alors d’une ignorance et d’une stupidité remarquables ?

— Ah, fit l’autre.

D’une main nonchalante, il jeta un petit objet contre le mur de son office. J’y portai ma lanterne. Un clou plié. Cela donnait la mesure de son absence d’intérêt ou de surprise.

— Ah, répéta-t-il. Vous avez moins de chance que la jeune dame. Ou davantage.

Il rit sans bruit, un tressautement de poitrine. Je le laissai poursuivre, et il m’obligea sans tarder. Le feu se reflétait sur l’humidité de ses yeux, au beau milieu d’une tête dont la nuit avait dérobé la face.

— La jeune dame est venue ici avec sa monture, raconta-t-il. Elle n’a pas vu de licorne noire. Nul ne l’avait plus vue depuis que Vanor a quitté Roche-Étoile. Jusqu’à vous. C’est un mauvais présage, la voir.

— Vanor ? demandai-je.

Une terreur aussi éphémère que soudaine me traversa au moment où je prononçai ce nom. Je n’en comprendrais la raison que plus tard.

— Vanor a quitté Roche-Étoile, répéta simplement le maréchal-ferrant. C’était une âme pure. Plus rien n’est comme avant depuis que Vanor n’est plus là.

— Vous vivez donc ici depuis toutes ces années ?

Il ne répondit pas, et le silence qui s’abattit une fois de plus me sembla réclamer mon congé. Du moins savais-je que je n’avais pas rêvé. La créature existait, d’autres l’avaient vue avant moi. De nouvelles questions me vinrent, mais je me ravisai devant la crispation manifeste de mon interlocuteur. Je n’obtiendrais rien de plus de lui. J’admettais bien aisément que les lois immuables du bon sens n’avaient plus cours ici.

— Je vous remercie, soupirai-je.

Satisfait, le maréchal-ferrant se détourna et flatta l’épaule puissante du cheval gris.

— Lorsque vous verrez la jeune dame, vous lui direz que sa monture est prête.

— Très bien.

— Je ne dois pas laisser mourir le feu.

Il disparut alors à l’intérieur de la forge. Je demeurai immobile un moment, rejouant cette conversation. Puis les frémissements du cheval retinrent à nouveau mon attention.

Ce dernier piétinait sous son abri de chaume. Près de son pied, je vis un abreuvoir rempli d’une eau limpide, apparemment saine. J’eus soudain grand-soif. Je songeai que je pouvais toujours me blottir jusqu’à l’aube contre l’animal brûlant, boire son eau et reposer mon corps sur le fourrage frais qui maculait le sol. Puis la lumière vacillante de la forge enfla. Une fumée jaillit du conduit de cheminée vers le ciel sans étoiles. Les ocres tièdes emplirent la ruelle, colorant les nuées de brume autour de mes chevilles. Une étrange satisfaction me traversa, mais également un besoin insistant de quitter cet endroit et son occupant. Si stupide étais-je, du moins conservais-je un certain instinct.

Et j’avais recueilli une information importante. Par quelque coup du destin, un autre visiteur se trouvait aussi à Roche-Étoile. Lentement, je me remis en route.

Anouck Faure et Argyll, tous droits réservés, 2023.

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